C’est l’histoire d’une cuvée de prestige préparée dans le secret le plus total au début des années 1980. Bernard de Nonancourt qui préside la maison Laurent-Perrier va marier sa fille à M Jean-Louis Pereyre. Et le jour venu, il n’y aura pas qu’un discours du père à la mariée, il y aura aussi la présentation d’un champagne rosé millésimé qui porte son prénom : Alexandra. Nous sommes en octobre 1987, le millésime est un 1982 et la célèbre maison de champagne de Tours-sur-Marne qui a déjà une cuvée de prestige, vient d’en lancer une nouvelle : le premier rosé de prestige de la Champagne.
La cuvée de prestige de la maison nommée Grand Siècle avait été imaginée au début des années 1950. Bernard de Nonencourt avait sélectionné les meilleures parcelles de onze grands crus en pensant assembler au moins trois millésimes pour chaque cuvée élaborée. La première sera un assemblage de 1952, 1953 et 1955.
Depuis, Grand Siècle est devenu un vin emblématique qui a su, de plus, évoluer dans la façon d’être présenté au consommateur. Les itérations en témoignent…
Mono-millésimé à la demande très rare de certains marchés ou pour des occasions d’exception, Grand Siècle reste fidèle à l’exigence de son créateur, rencontré en 2004 à Tours-sur-Marne, et dont mon carnet de notes a gardé cette réflexion, parmi d’autres : « l’art de la Champagne est de savoir assembler ses millésimes, ses terroirs et ses cépages. C’est aussi ce qui l’a préservé des crises de toute sorte qu’elle a traversées au cours du dernier siècle. Son endurance réside dans l’art de l’assemblage, même si elle a besoin de marquer des cycles par des millésimes à déclarer ».
Marque d’amour, Alexandra aura sans doute été créée, aussi, pour rendre hommage à ces vendanges d’exception. Seulement 7 millésimes ont été commercialisés depuis 1987 pour cette cuvée (1982, 1985, 1988, 1990, 1997, 1998, 2004).
Disparu en octobre 2010, Bernard de Nonancourt a laissé un héritage déterminant pour la Champagne, que sa famille, aujourd’hui, perpétue avec autant d’intégrité.
Je commente ici le champagne Alexandra 1998 de Laurent-Perrier (conservé dans des conditions optimales et dégusté en février 2021) :
Si la robe a sans doute et naturellement évolué du rose corail vers un rose plus saumoné, elle a conservé son éclat et surtout, elle présente des bulles aussi fines que vives avec un cordon étonnamment riche.
Le premier nez est vineux, discret, il rappelle une confiture de fraises, brûlante, en préparation dans son récipient : tantôt sucre roux, tantôt fraises des bois écrasées.
C’est à l’aération du verre qu’un fruité plus frais se laisse saisir à travers des notes de cerises, puis de kirsch, voire de prunelle, en fait de noyaux de fruits. Après un quart d’heure dans le verre, alors que l’effervescence sera restée vive, des accents d’orangettes et de grué de cacao s’imposeront définitivement.
Entre temps, le vin a séduit les papilles : c’est crémeux dans le volume, légèrement amer dans les contours (zestes) et étonnamment compact, presque ferme, dans le comportement. Les arômes perçus sont ceux de marmelades côté fruit, et de mazapan espagnol doré brun, côté évolution.
À la fois solide et longiligne grâce à une finale aux subtiles notes de moka qui s’éternisent, cet Alexandra 1998 est évidemment exquis, étonnamment fringant, finalement captivant.
Je ne veux pas démontrer que le champagne est un grand vin de garde, je le répète sans m’en lasser tout en lassant, je le sais, mes entourages professionnels et personnels. Toutefois, ce rosé qui a 23 ans au moment de sa dégustation prouve une fois de plus que la Champagne élabore – même en général – un vin incroyablement endurant. Il faut être toutefois patient pour le reconnaître…
« … La patience offre toujours des récompenses… » est l’une des réflexions de Bernard de Nonancourt, relue dans mon carnet de notes de cette entrevue du printemps 2004.
Le millésime 2004 de la cuvée Alexandra de Laurent-Perrier est en vente à 389 $ en SAQ, au Québec.