En ces temps délicats où le sucre est éconduit dans l’univers des vins, il est difficile de promouvoir un vin justement engendré « grâce » à lui. Je vais m’attacher pourtant ici, à vous convaincre que le Porto, un vin dit muté, c’est-à-dire un vin auquel on ajoute de l’eau-de-vie (du sucre donc !) en cours de fermentation, est un compagnon agréable et original, à table avec des mets, si quelques règles d’équilibre sont respectées.

Et ces règles d’équilibre commencent bien entendu par le dosage de sucrosité et de lourdeur dans l’assiette, comme dans le verre…

Le sucre et le sel se retrouvant partout, à l’excès, dans notre alimentation contemporaine, deux courants de pensée gourmande s’offrent à nous en matière d’accords de Porto et de mets :
– rechercher des saveurs soutenues, voire exacerbées par l’alcool : on vise ici les « becs sucrés ».
– rechercher des saveurs qui freinent l’action de l’alcool et du sucre pour retrouver une sorte de vinosité initiale : on vise ici les « becs salés ». 

La température du Porto et du corps humain !

Le Porto n’est pas uniquement l’éternel compagnon des amuse-gueules comme en France, des fromages bleus comme en Angleterre ou du chocolat noir comme en Belgique.
Si on aime absolument ou à l’occasion, l’onctuosité et la richesse à table, le Porto, grâce à tous ses types, peut convenir à une multitude de mets.
L’ouverture d’esprit, l’imagination et l’audace sont toutefois nécessaires pour surprendre, découvrir et offrir de nouveaux plaisirs avec quelques notions de température à connaître pour mieux profiter de la variété des parfums et des textures du Porto.
Sans être trop pointilleux, il faut admettre aussi que pour le même type de Porto, sa température de consommation pourra être différente si on le boit seul ou accompagné d’un met.
En effet, on essaiera de rapprocher les températures du mets et du vin (toute proportion gardée) afin d’éviter un choc thermique désagréable en bouche.
Par exemple, un type Ruby pourra être bu seul, en apéritif, à 14 degrés tandis qu’avec une bavette de boeuf grillée nappée d’une sauce aux baies rouges, on le servira autour de 18 degrés.
La nuance est subtile, mais utile.
Enfin, on cherchera également la meilleure température selon la saison du service. La chaleur et l’humidité de l’été ressenties par notre corps ou l’impression de fraîcheur pénétrante en hiver peuvent complètement métamorphoser la sensation du vin en bouche.
Et curieusement, même si la science l’explique, il y a un paradoxe.
Par forte chaleur estivale, on sera enclin à servir, par exemple, un Porto Blanc de type extra-sec à 7 degrés pour qu’il assure un rôle rafraîchissant et désaltérant. Mais, on perdra alors tout le plaisir de ses arômes, à la fois occultés par la température très froide du vin et la réaction de nos papilles qui, elles, étaient déjà adaptées à l’excessive chaleur ambiante.
Si l’on veut donc profiter au mieux du même vin dans les mêmes conditions de saison, on le servira autour de 10 degrés et notre cerveau se chargera de rectifier et d’équilibrer toutes les informations reçues, pour notre plus grand plaisir !
Ça, c’est le miracle du corps humain !

Le Porto Blanc : 

Avec les Portos Blancs standards, la méprise de goût est souvent récurrente, car la mention de la catégorie est rarement déchiffrée par le consommateur. Les 6 catégories déterminées par le taux de sucre résiduel par litre, et le degré d’alcool, c’est-à-dire la sensation sucrée et onctueuse décelée en bouche, sont certes affichées, toutefois non révélatrices de la sensation perçue en bouche.
Il y a donc 6 occasions d’être déçu à la dégustation.
L’étonnement le plus courant étant celui provoqué avec un Porto Blanc extra-sec : le consommateur non informé s’attend à des sensations fruitées et onctueuses, mais il découvre une sensation gustative de Xérès Amontillado !
Bref, s’il ne connaît pas les catégories ou s’il n’est pas guidé, il laissera de côté le Porto Blanc en général, pour revenir au Porto Rouge, plus accessible dans ses caractéristiques gustatives.
La nouvelle nomenclature dont je parle dans l’article Porto Blanc, l’or inattendu du Douro devrait avantageusement éclairer le consommateur.

A l’apéritif : 
Le Porto Blanc (toutes les catégories selon vos goûts, à l’exception peut-être du Lagrima et des mention d’âge, souvent sirupeux, pouvant couper l’appétit) se sert frais, nature ou avec un tonic (soda), des glaçons et éventuellement une rondelle de citron.
Olives et amandes fraîches (mi-doux), beignets de morue (léger sec à mi-doux), feuilletés de crevettes (extra sec à doux), éperlans grillés (extra sec), dés de fromage de style Tomme de montagne (Léger sec à sec), etc…   

En repas : 
le Porto Blanc conseillé sur un plat est rare, mais si vous aimez l’originalité, tentez ceci : fondue savoyarde et charcuterie (extra sec), plateau de fruits de mer (léger sec à sec), foie gras ou aiguillettes de canard (doux à lagrima, mention d’âge et colheita), feuilleté au roquefort (doux à lagrima, mention d’âge et colheita), etc. 

Avec les fromages (en règle générale) : 
Pâte ferme à croûte lavée ou naturelle : léger sec à sec
Pâte molle à croûte lavée : sec à doux
Pâte persillée (bleu) : doux et lagrima, mention d’âge et colheita

Au dessert : 
Restons simples : mi-doux à lagrima, et bien entendu les mentions d’âge et les colheita, qu’il y ait du chocolat noir, des zestes d’agrumes ou du caramel.
Vos goûts propres sauront sélectionnés le bon Porto, selon les subtilités du dessert présenté.

Le Porto Rouge :

Deux grandes notions à retenir avec le Porto Rouge.
Si vous l’aimez corsé, coloré, puissant au bouquet affirmé de fruits noirs et rouges, vous êtes adeptes des Ruby, Late Bottle Vintage (LBV) et des Vintage jeunes.

Si vous l’aimez fin, élégant, suave en bouche et très long, au bouquet oxydatif et torréfié, vous êtes adeptes des tawnies à mention d’âge, des colheita et des vieux vintage

La tradition, l’engouement, puis la mode ont proposé le mariage du Porto Rouge aux fromages bleus, au chocolat noir et aux cigares.
Les abus publicitaires le vendent encore avec toutes les catégories de fromages et toutes les sortes de desserts; bref, « à toutes les sauces », pour finalement écoeurer le consommateur de ce vin initialement rare et subtil.
Il est peut-être temps de revenir à l’harmonie vraie, à la sobriété des goûts, à la logique du mariage des saveurs, par respect pour le prestigieux Porto.
C’est ici que les becs salés peuvent être séduits.       

A l’apéritif : 
Un Ruby ou un Tawny sans mention d’âge conviendra avec des canapés aux mousses de foie de volaille ou de gibier, de foie gras de canard ou d’oie, des bouchées feuilletées aux compositions variées, mais cette manie apéritive typiquement française, n’est pas la meilleure.
Si donc, vous n’êtes pas un « accroc » du Porto Rouge, débutez plutôt vos agapes avec des vins blancs secs ou un Porto Blanc extra-sec. 

En repas : 
C’est ici qu’il est intéressant et original de sélectionner un Porto Rouge : pendant le plat de résistance !
Ce n’est ni classique, ni facile; c’est expérimental, donc épisodique et original.
Essayez au moins une fois.
Certes, le mariage sera riche, mais il suffira alors d’équilibrer l’ensemble du repas, de savoir doser en sucre, en sel et en gras le plat principal, d’éviter une entrée lourde ou une entrée tout court, d’envisager un fromage léger ou pas du tout, et de proposer un dessert peu édulcoré, voire chocolaté noir qui pourrait permettre de vider le Porto Rouge, entamé sur le service précédent.
Ce vin rouge « résiduellement sucré », le Porto, peut être marié à bien des mets salés, mais il faut bien connaître la marque et la catégorie, ainsi que les subtilités du plat proposé.
Voici deux trois idées de mets…
Tournedos Rossini (foie gras), magret de canard confit aux bleuets, gibier à plumes  aux canneberges, civet de chevreuil aux myrtilles, carré de cerf aux griottes sauront apprécier la présence d’un Porto LBV ou d’un Porto Vintage, relativement jeune.
Du canard à l’orange, du râble de lièvre aux épices, un faisan farci aux noix, des pigeonneaux au miel ou une tranche de foie gras de canard mi-cuit ou poelée à la fleur de sel, appelleront des Porto Rouges plus délicats, tel que les Tawnies ou les très vieux Vintage. Et même les Portos Blanc Tawnies ou Colheita !

Avec le fromage : 
Le Porto Rouge (quel qu’il soit et selon vos goûts) séduit tous les fromages à pâte persillée (les populaires bleus), c’est tout !
Éventuellement pourront s’y prêter les vieux fromages de cave (Mimolette extra vieille, Cheddar 7 ans, Fribourg, Ossau-Iraty, etc.).
Les soirées « fromages et Porto » où le Camembert, le Brillat Savarin et le Munster côtoient un Porto Vintage ou un Porto Tawny 10 ans sont des insultes à nos papilles gustatives. Le divorce des Portos et des fromages existe aussi !

Au dessert : 
Le Porto Rouge s’accorde avec de nombreux desserts s’ils sont légers et peu sucrés.
Ceux à base de chocolat noir amer et de fruits rouges seront particulièrement choyés avec un Porto LBV ou un Porto Vintage encore jeune.
Les subtilités arômatiques ou les finales gustatives de caramel au beurre, d’amandes douces, de zestes d’agrumes, de noix ou d’épices que l’on décèlera dans le dessert conviendront davantage aux Tawnies à mention d’âge ou aux très vieux Vintage, et aux Portos Blancs à mention d’âge et aux Colheita.
Évitez les sorbets et les crèmes glacées, à l’exception des nougats glacés avec certains Portos Blancs à mention d’âge.

Et pour finir, le cigare : 
Choisissez votre cigare préféré avec votre Porto préféré, car ce moment-là est un moment égoïste qui n’est pas obligé de satisfaire à l’objectivité et qui ne se partage pas…
Je ne pense pas d’ailleurs qu’il y ait de principes établis après maints essais d’harmonie entre les cigares et le Porto.
Une mode s’est développée au cours des années 1990 à inviter presque instantanément une personne qui allume un cigare à le partager avec un Porto.
Personnellement, j’apprécie les deux, consommés séparément.
Et, puisque je peux donner mon avis dans ces lignes, un Cognac, un Armagnac, un brandy, un Whisky, certaines grappas ou un vieux rhum sont des hôtes de fin de repas bien plus adéquats avec un cigare qu’avec un Porto.
On peut cependant trouver des associations entre Porto et cigare plus convenables que d’autres.
Les Portos Ruby, LBV et Vintage réclament plutôt des cigares corsés, profonds et robustes.
De la République dominicaine, je préconise la série Grand Cru de Davidoff, Griffin’s, Henry Clay, Juan Clemente, Partagas, Paul Garmirian ou Sosa. De Cuba, dirigez-vous vers les Montecristo, Partagas, Quintero, Ramon Allones, Romeo y Julieta, San Luis Rey, Cohiba, Trinidad ou Bolivar. Du Honduras, les Baccarat, Bering, El Rey del Mundo, Hoyo de Monterey, J.R. Ultimate, Punch ou la série Connoisseur de Zino, sont superbes.  Les Porto Tawny à mention d’âge et Colheita ont avantage à être partagés avec des cigares veloutés, aux accents aromatiques doux, complexes et longs. De la République dominicaine, visez les Casa Blanca ou Cuesta Rey. De Cuba, les El Rey del Mundo, Fonseca, H. Upman, Hoyo de Monterrey, Juan Lopez, La Flor de Cano, La Gloria Cubana, Punch ou Sancho Panza sont classiques. Du Honduras, la série Mouton-Cadet de Zino, Cuba Aliados ou Don Tomas vous contenteront aisément.

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