C’est un vin mythique, curieusement peu connu du grand public. Un vin blanc liquoreux élaboré au bout du monde, au bout de l’Afrique, et ce, depuis 3 siècles. Vendu dans un flacon qui rappelle la silhouette de ceux d’alors, le vin doré qu’il renferme a inspiré les plus grands auteurs. Et même s’il est élaboré avec l’un des cépages les plus anciens du monde qu’on retrouve sur maintes appellations, un cépage qui offre le meilleur comme le pire, c’est au Cap que le muscat exprime sa quintessence. Bienvenue dans l’univers du soyeux et de l’édulcoré…

Le domaine Klein Constantia est parmi les pionniers en matière de viticulture sud-africaine puisque la création de la propriété agricole par Simon Van der Stel remonte à la fin des années 1680.

Nommé gouverneur de la province du Cap en 1685 par la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales, alors maîtresse des lieux, on ne prête souvent à cet homme qu’un rôle politique, mais ce protestant qui mît les pieds pour la première fois en Afrique du Sud en 1679, était un vrai vigneron puisqu’il avait entamé des travaux viticoles chez lui, sur son propre domaine en Hollande, à Muiderbergh !

Le « vin brûlé », le Brande Vjin qui deviendra le Brandy est alors une spécialité des Provinces-Unies (Hollande) et Van der Stel fît quelques aller-retours entre les deux continents avant de s’installer définitivement en 1685 au Cap et d’y construire un domaine agricole grâce aux 763 hectares que la compagnie lui a légué.

Comme la plupart des grandes propriétés aristocrates de l’époque, la vigne n’est pas la seule économie. Ce sont des fermes polyculturelles qui s’érigent, car il y a un pays à construire. Le domaine qui sortira son premier vin en 1692, prît donc le nom de Constantia.

Plusieurs thèses existent sur l’origine de ce nom :
l’épouse du gouverneur Van der Stel s’appelait Constance; le navire qui achemina la fille du premier intendant de la Compagnie Rijckloff Van Goen qui soutînt le projet d’obtention de terres au Cap à Van der Stel, s’appelait Constantia; enfin, Constantia est le terme latin signifiant persévérance. Il a pu inspirer le pieux protestant qu’était Van der Stel qui meurt en 1712.

Deux ans après son décès, le domaine est vendu aux enchères et divisé en trois secteurs : le terrain où était la demeure de la famille Van der Stel est racheté par le Capitaine suédois Oloff Bergh qui nomme la zone Groot Constantia, et un certain Pierter de Meijer rachète les secteurs de Klein Constantia (Hoop Op Constantia en 1783) et Bergvliet (divisé en deux secteurs en 1783, Buitenverwachting et Nova).
Chaque domaine restera viticole tout en étant administré différemment, selon les archives laissées par les héritiers qui se succèdent pendant 50 ans. Les écrits mentionnent que la production de vin de Groot Constantia était globalement meilleure que celle de Klein Constantia au 18ème siècle.

Alors que Groot Constantia est progressivement laissé à l’abandon, il est repris en 1778, par Hendrick Cloete, un notable de Stellenbosch qui, grâce à ses descendants, va véritablement élever le domaine au rang de propriété viticole incontournable pendant le 19ème siècle. Cependant, dès 1860, l’oïdium, puis le phylloxéra rongent les terres agricoles du Cap, emportant la plupart des vignes. Dévastée, Groot Constantia devient une exploitation du gouvernement sud-africain en 1885, qui la rachète pour une bouchée de pain.
Le domaine est transformé en institut agricole. Malgré quelques tentatives viticoles grâce aux boutures américaines, la production périclite. Mal administré, donc inefficace, il survit au gré des différents gouvernements d’une Afrique du Sud écartée des grands échanges commerciaux en raison de sa politique intérieure. Groot Constatia et Hoop Op Constantia sont finalement déclarés Monument National en 1984, l’intérêt muséal passant avant la volonté viticole.

Une époque où les vins sont sirupeux.

Emblème d’une période où les vins étaient généralement sucrés, celui du Cap avait conquis les tables princières d’Europe. Le fait qu’il vienne du bout du monde a forgé l’engouement et le mystère. Pratiquement toutes les caves des cours royales et impériales du vieux continent au 18ème siècle et 19ème siècle possédaient de petits flacons noirâtres renfermant la liqueur. On ne compte plus les références littéraires d’auteurs classiques, dont certains d’ailleurs n’en avaient jamais bu; et Napoléon 1er a même réussi à en obtenir, lors de son exil sur l’île de Sainte-Hélène. Bref, avec le vin de Madère, le vin de Constance était alors le plus recherché.

Par chance, les archives sont assez précises en ce qui concerne ce vin. On peut remonter aux années 1720 pour connaître son parcours qui débute grâce à Johannes Colijn, son premier élaborateur à Hoop op Constantia, dont le chai a été préservé, mais qui a été abandonné et transformé en entrepôt.

Rien ne précise que seul le muscat était alors employé. Le chenin et le pontac (cépage teinturier qui proviendrait de la Loire) devaient lui être assemblés puisque ces trois cépages étaient alors les plus vigoureux et les plus résistants localement. Le pontac sera vite abandonné.

Deux versions étaient d’ailleurs élaborées selon Boela Gerber, oenologue de Groot Constantia depuis 2001. La première non mutée pour la consommation locale et la seconde mutée, pour les marchés à l’export; thèse on ne peut plus logique puisque jusqu’au milieu du 19ème siècle, on ajoutait fréquemment de l’alcool dans la plupart des vins qui prenaient le bateau, quelles que soient leurs destinations.

Comme la plupart des pays viticoles, l’Afrique du Sud a été touchée par le phylloxéra, toutefois et contrairement à ce qui a été longtemps véhiculé (le fait que la production de vin de Constance a été freinée, puis arrêtée à cause du puceron), Boela Gerber affirme qu’on a poursuivi une mince production avec du muscat de Frontignan puisqu’on a retrouvé des flacons des années 1920. Les conflits et les crises économiques de la première moitié du 20ème siècle qui ont sérieusement freiné la production du vin, ont incité les archivistes à fouiller le passé du domaine, révélant qu’aucune production du célèbre nectar n’a existé pendant 40 ans.

C’est à partir des années 1980, grâce au rachat de la propriété par Duggie Jooste que le Vin de Constance entame une renaissance. En travaillant avec le professeur Chris Orffer de la Stellenbosch University et en replantant du muscat de Frontignan, le vin de Constance réapparaît sur les marchés, notamment avec un 1986 non botrytisé.

Toutefois, des choix hasardeux de cépages en raison sans doute de l’établissement d’une seule pépinière en Afrique du Sud, contrôlée par l’état, ne vont pas aider le rétablissement d’une identité réelle pour le vin de Constance. Le système politique du pays entraînant de plus, des restrictions commerciales à l’échelle internationale, ce dernier reste absent des marchés. Et curieusement, c’est sans doute en cette fin de 20ème siècle que le vin de Constance s’érige en mythe…
Comme on ne le voit pas et comme on ne le boit pas, il est convoité.

Constance.JPG

25 000 bouteilles savoureuses plus tard…

C’est finalement depuis 2011, année de rachat de la marque par Zdenek Bakala et Charles Harman, deux financiers de BXR Group qu’un sérieux plan d’affaires a été initié. On y trouve des actionnaires bien connus dans l’univers du vin bordelais, comme Hubert de Boüard de Laforest et Bruno Prats qui, avec Matthew Day, l’oenologue, et Hans Astrom administrent aujourd’hui le domaine.

Klein Constantia produit en moyenne 25.000 bouteilles du prestigieux vin de Constance. Le mythe est désormais plus accessible… même au Québec !

Commentaire du Vin de Constance 2014 – sucre: 160 gr / L (dégusté en décembre 2018) :

Des arômes de garrigue (typique dans la jeunesse de ce vin quels que soient les millésimes), de raisins secs, de grappa, puis de cire à l’aération sont très nets au nez alors que dès l’attaque en bouche, la concentration s’installe davantage.
Certes floral, on pense surtout à une marmelade d’oranges et de pamplemousses dans les saveurs qui parcourent la texture grasse et curieusement, pas si longue que cela. Bref, c’est un poupon !!
Il n’a pas encore la complexité aromatique qu’il gagnera avec le temps, mais le comportement et surtout, la fine acidité qui enveloppe le fruité confit, prédispose ce vin à une garde avantageuse…
En matière d’harmonie culinaire, le foie gras, la crème brûlée ou le fondant au chocolat noir sont des classiques toujours appréciés avec un tel nectar, bu en jeunesse.
Les fromages à pâtes persillées sont également d’heureux compagnons. Et si vous avez la dent sucrée, le Vin de Constance est un dessert en lui-même…

Suivez-moi sur Facebook