Jusqu’au début du 20ème siècle, l’effervescence du champagne n’était pas garantie lorsqu’on expédiait les bouteilles à la vente sur les marchés. Trop actives, les levures faisaient éclater les bouteilles en cave; paresseuses, elles donnaient un vin flou aux bulles fugaces. Il faudra attendre les travaux de certains chimistes, dont Louis Pasteur, pour comprendre le phénomène de la seconde fermentation en bouteille et le maîtriser, afin d’assurer une surpression de gaz constante et nivelée. Conscientes de ce souci dès le 18ème siècle, les premières maisons testaient les bouteilles par lot, et plus tard, lorsque le pupitre fut inventé, elles en sélectionnaient certaines, pour mieux les classifier. Ainsi, pendant près de 150 ans, le champagne était vendu en fonction de son effervescence « spéculative »…
Dès 1730, la Champagne viticole expédie des flacons de grand mousseux, de demi-mousseux (dont on dit qu’il crème et qui donnera plus tard le terme crémant), de saute-bouchon ou de sauteur, dont on pense aujourd’hui que la pression atteignait au maximum 3 atmosphères. Bien entendu, aucun témoignage scientifique ne certifie cet état, seules les rares toiles peintes sur le sujet nous permettent d’analyser et d’envisager une appréciation :
le tableau de Nicolas Lancret, Le Déjeuner de jambon (1735), présente le versage (le terme est vilain, mais il existe) d’assez haut, d’un vin qui peut être du champagne, étant donné la silhouette des bouteilles exposées, dans un verre conique sans que la mousse ne déborde. Or, si le vin était effervescent grâce à un taux d’atmosphère élevé, le peintre aurait montré une mousse s’échappant du verre. Ici, il se contente de signifier que les convives partagent en effet du vin saute-bouchon parce qu’il est versé de haut pour mieux exposer son effervescence, toutefois, celle-ci n’est pas assez soutenue, au point de peindre son jaillissement non maîtrisé.
Lorsque le bouchon saute brutalement comme dans la toile de Jean-François De Troy, Le déjeuner d’huîtres (1735), il est clair que l’artiste a voulu montrer l’effet d’un vin saute-bouchon, au moment de son ouverture, ainsi que son comportement une fois dans le verre. Le tableau est presque une mise en scène qui va de gauche à droite des étapes de la dégustation de ce nouveau type de vin par les invités présents, dans une action différente : présentation, ouverture, observation, appréciation, dégustation. Le vin servi est assez mousseux pour qu’il éjecte spontanément le bouchon du flacon, toutefois, là encore, il ne l’est pas suffisamment pour que son effervescence perdure dans les verres puisqu’il est versé de haut et que les verres emplis, ne présentent qu’un léger cordon, sans débordement.
Cela signifie que les amateurs de ce nouveau vin, en ce 18ème Siècle des Lumières, connaissent peut-être ce qu’ils boivent et aspirent à voir un bouchon sauter de lui-même, tout en sachant aussi, que sa mousse est légère et passagère.
De nombreux termes vont apparaître au cours du 18ème et du 19ème siècle pour qualifier l’état supposé du vin de Champagne enfermé dans son flacon, certains d’ailleurs seront adaptés aux marchés destinataires.
L’un d’eux, plus curieux, va désigner à partir du Premier Empire, le mauvais champagne : c’est la ptysanne ou tisane de Champagne.
Jean-Antoine Chaptal le présente comme un champagne issu des secondes tailles ou de retrousse, toutefois, on parle davantage de tisane de champagne quand la qualité était médiocre et que l’effervescence était pour ainsi dire, inexistante.
La tisane était en fait, un vin tranquille qui n’avait pas « su devenir » du champagne et qu’on corrigeait en ajoutant du sucre. Ce type de champagne ne sera pas statutairement considéré, cependant, la plupart des marques qui vont développer les premières étiquettes sous le Second Empire, utiliseront ce vocable jusqu’au 20ème siècle et commercialiseront ces flacons toujours étiquetés de belle façon.
L’AOC Coteaux Champenois instituée au milieu des années 1970 pour les vins tranquilles de Champagne aura sans doute été inspirée par la tisane de Champagne avec le devoir d’être un bon vin par défaut, plutôt que par dépit…