Président de « l’Association des Producteurs de Boisson Spiritueuse à Indication Géographique Champenoise", Claude Giraud souhaitait des lettres de noblesse pour le Ratafia de Champagne depuis longtemps : "Il a 8 siècles d’existence, mais personne ne le sait. Il fallait donc le faire renaître, le populariser, le faire accéder à une reconnaissance officielle par l’INAO. On a failli le voir disparaître pour des raisons administratives, mais on s’est battu et le ratafia champenois est devenu une IGP en 2015 avec un cahier précis au niveau de son élaboration et des mentions de vieillissement. Et pour qu’il se distingue des autres mistelles, on a créé dernièrement une bouteille à la silhouette particulière qui existe en deux contenance, 50cl et 70 cl".
La plupart des vins dont le taux d’alcool naturel dépasse les 15 degrés (mistelles ou vins mutés) ont été créés à la Renaissance, époque des explorations maritimes où les fûts transportés, rencontraient les affres des intempéries et de l’oxydation. On les renforçait donc à l’alcool (de fruits ou de céréales), au sucre ou au sel. Les plus célèbres ont traversé les époques : xérès, porto, malaga, madère, marsala, etc…
Le Ratafia est né de la même nécessité, toutefois, il ne s’agit pas d’un vin muté, mais d’une mistelle, soit du jus de raisin non fermenté, mélangé à de l’eau-de-vie, car les vignerons champenois, conscients que les cépages qu’ils employaient, étaient particulièrement vifs et acidulés, désiraient garder cette fraîcheur au lieu de la brûler par adjonction d’alcool lorsque leur vin fermentait.
Le terme Ratafia, quant lui, continue de poser un problème d’origine, puisque les linguistes ne sont pas d’accord sur celle-ci. En effet, le tafia et le ratafia seraient des termes des Antilles, entendus par les colons occidentaux, lorsque ces derniers donnaient à boire aux esclaves. Le tafia est d’ailleurs le premier nom donné au rhum. Toutefois, le mot tafia est aussi repéré et rapporté dès le milieu du 16ème siècle dans un échange de brandy de colons à maître planteur.
Enfin, l’expression latine "rata fiat" signifiant "que le marché soit ratifié" aurait pu être employée lorsqu’on propose un verre une fois une entente conclue.
Le produit
Aujourd’hui, l’indication géographique « Ratafia de Champagne » ou « Ratafia champenois » désigne une boisson spiritueuse, obtenue par aromatisation d’un alcool d’origine viticole (eau-de-vie de vin, eau-de-vie de marc, distillat vinique, distillat de vin) avec du moût de raisins. Tous les cépages de l’AOC Champagne sont autorisés, seul ou assemblés; le chardonnay, le pinot noir et le pinot meunier étant les principaux.
Son élaboration
Ces moûts sont obtenus dans la limite de 2 666 litres de moûts débourbés pour 4 000 kilogrammes de raisins mis en oeuvre. Toute opération d’enrichissement des moûts est interdite.
Afin de ne pas masquer les arômes premiers des moûts de raisin, l’eau-de-vie de marc ne peut pas représenter plus de 20 % du volume d’alcool pur total des alcools utilisés lors de l’élaboration. La fabrication doit avoir lieu dans un délai de 20 jours après la date de pressurage des raisins entrant dans la composition des moûts mis en oeuvre.
Son élevage
Après fabrication, les liqueurs subissent une maturation de 10 mois minimum avant conditionnement. La maturation est réalisée en cuves ou en fûts (l’emploi de copeaux de bois est interdit).
Au cours de cette phase, des ajouts d’alcool sont autorisés afin d’ajuster le titre alcoométrique volumique acquis.
Le Ratafia de Champagne pourra revendiquer la mention « Vieux », pour des liqueurs vieillies au moins 3 ans à compter de la mise sous bois et la mention « Très vieux », pour des liqueurs vieillies au moins 8 ans.
Il ne vieillit pas une fois embouteillé et ne s’oxyde pas, il conservera donc son identité primaire, aromatique et gustative.
Il doit respecter les conditions suivantes :
– un titre alcoométrique volumique compris entre 16 % et 22 % ;
– une teneur minimale en sucre exprimée en sucre inverti de 110 grammes par litre ;
– une acidité totale inférieure à 10 grammes par litre (exprimé en H2SO4) ;
– un taux de dioxyde de soufre inférieur à 80 milligrammes par litre.
Actualité
La production de Ratafia de Champagne est encore confidentielle (seulement 290 litres par hectare / autour de 120 élaborateurs) et sa promotion, curieusement, reste timide puisque même les vignerons, les maisons et les coopératives qui en élaborent, ne le mentionnent pas systématiquement dans leur présentation de gamme de champagnes.
Le potentiel de production annuelle tourne autour de 17 millions de bouteilles (6% de l’AOC).
Au Québec, 2 Ratafias de Champagne sont proposés en SAQ; celui de Vilmart & Cie à 63,50 $ les 700 ml (100% pinot noir) et celui de Vincent Couche à 44,50 $ les 500 ml (100% pinot noir).
Commentaire du Ratafia Solera 90-13 de Henri Giraud (IP au Qc auprès de l’agence Alternative Wines & Spirits) :
Nez de confiture de coing, de fleures séchées qu’on retrouve en bouche au sein d’une texture plus souple que grasse. Quelques notes de cerise se laisse capter également après un certain temps d’aération.
On déguste de la fraîcheur, de l’élégance, la puissance est contenue, l’univers traditionnel des vins dits de liqueur est ici aux antipodes, il n’y a pas de chaleur, pas de sucrosité excessive, pas d’impression de lourdeur, tout est caressant.
Le pur jus de raisins est presque intact, il est comme en surexposition.
De multiples accords culinaires sont possibles avec le Ratafia de Champagne, depuis l’apéritif avec quelques canapés de mousse de foie au dessert fruité ou chocolaté, en passant par un classique foie gras poêlé ou quelques pétoncles grillées et caramélisés.
L’essentiel est de respecter ce qui le caractérise : la subtilité.