« Hommage à William Deutz » est une série de flacons de champagnes millésimés, issus de parcelles de pinot noir d’Aÿ, village où William Deutz s’installa avec ses associés en 1838. En 2017, le premier millésime lancé fut un 2010, nommé Parcelles Aÿ, qui combinait la parcelle La Côte Glacière et la parcelle Meurtet. La première est un coteau abrupt qui donne toujours des pinots noirs chaleureux et expressifs, tandis que ceux de la deuxième, certes tournés vers l’est, sont plus pointus, plus crayeux. Leur assemblage apparaissait évident pour un premier « Hommage ». Reçu en 2018, j’ai préféré attendre quelques mois pour le déguster, car le temps est un gage de plénitude et je soupçonnais aussi que ces deux parcelles seraient, un jour, proposées seules… Et c’est en effet, sur le millésime 2012, que chacune peuvent, aujourd’hui, présenter leurs qualités. Voici donc ces trois cuvées d’exception dégustées et comparées.
2010 en Champagne :
Année délicate, analogue à la morale de la fable « Le lièvre et la tortue » : rien de ne sert de courir, il faut partir à point. Et justement, 2010 fut une année de parcelles ! Jusqu’au printemps, le millésime s’annonçait excellent, mais le mois de juin, froid et mouillé, retarda la floraison, provoqua quelques maladies et l’été, orageux et destructeur, acheva l’opiniâtreté des vignerons. Bref, un tri homéopathique fut appliqué à la vigne et aux tables durant les vendanges et seules, quelques parcelles, en raison de leur situation géographique particulière, donneront des résultats plus heureux. Ce fut le cas sur Aÿ…
2012 en Champagne :
C’est la même fable, mais à l’envers. Comme si le lièvre gagnait quand même ! Car l’année part mal avec un hiver rude et long qui freine les cycles, consolide les maladies, effraie les vignerons jusqu’en juillet où le miracle du soleil corrige tout. Les vendanges seront copieuses et équilibrées, 2012 s’inscrit parmi les grands millésimes de ce début de siècle. Aÿ rigole…
Commentaire de « Hommage à William Deutz – Parcelles d’Aÿ – Pinot Noir 2010 – Brut :
Le nez est mature, les notes d’hydromel sont nettes, voire enveloppantes, car elles couvrent celles de fruits plus provençaux que normands (abricots, coing). Il faut une vigoureuse agitation du verre pour aller chercher la fraîcheur anisée d’Aÿ, étonnamment encore présente.
Je m’attends donc à un vin mature, pâtissier en bouche, et curieusement, l’attaque est davantage boulangère : levure et farine s’entremêlent sans aucune touche beurrée.
Les arômes sont jeunes, alors que la texture est à la fois riche et énergique : une énergie marine. Pas iodée, juste balnéaire ! Comme une plage chaude Bretonne en été (ne rigolez pas, même en Bretagne, ça existe) !
Quelques amers s’installent en bouche, le pinot noir parle et l’on ressent l’ADN des deux parcelles, la minéralité de Meurtet semble refroidir l’opulence de la Côte Glacière qui, ici, porte mal son nom…
Et c’est tant mieux, car finalement, cette conjugaison est un gage d’endurance. Cet « Hommage à William Deutz 2010 » est encore jeune au compteur; il est en 2019 comme un adolescent longiligne, plus destiné à l’athlétisme qu’au rugby, un perchiste qui peut voir haut dans une carrière, sans doute courte, mais olympique !
Commentaire de « Hommage à William Deutz – La Côte Glacière – Pinot Noir 2012 – Brut :
Expressif, ce champagne dégage à l’aération un soupçon aromatique de griottes qui supplante le caractère floral du premier nez. Une grande fraîcheur se dégage au nez, elle rappelle un muesli de petit déjeuner, car il y a quelques notes de fruits secs et grillés.
Le vin est jeune et fougueux en bouche, malgré des bulles menues qui construisent une texture tapissante et longue.
Son comportement déroute, car les saveurs restent sur l’acidité de fruits rouges, sans note maltée du temps qui passe, cependant le volume apparaît riche et compact.
Le fruité est en dormance, l’ensemble sur la retenue aromatique.
« La Côte Glacière 2012 » est, en 2019, comme un adolescent imposant et maladroit, qui ne sait pas où se placer, mais dont on voit l’immense potentiel le prédisposant à devenir, non pas un pilier, mais le trois quart aile d’une équipe de rugby, solide et virevoltant.
Commentaire de « Hommage à William Deutz – Meurtet – Pinot Noir 2012 – Brut :
Net, précis, étiré, pur, jeune et blanc, seraient les qualificatifs de cette cuvée où le fruité rappelle celui d’une salade de fruits d’automne (poire, pomme, clémentine) où l’on aurait glissé quelques lamelles de fenouil.
L’énergie n’est pas dans le volume, mais dans la tension. On pourrait presque penser à du chardonnay bien mûr.
La texture est plus aérienne que celle de La Côte Glacière. La minéralité râpe un peu, elle est davantage calcaire que marine, plus marneuse que saline.
Meurtet 2012 est, en 2019, un adolescent comme sa parcelle voisine, mais ce n’est pas un joueur de rugby. C’est un triple sauteur et l’on revient à l’athlétisme pour boucler la boucle, rendre logique la décision d’avoir d’abord assemblé les deux parcelles en 2010, pour mieux les connaître.
Des trois sauts à amorcer, Meurtet 2012 a déjà fait le premier, le plus long.
Il lui en reste deux, pour s’accomplir vers 2027.