Laurent d’Harcourt, président du directoire de la maison Pol Roger, était de passage à Montréal en février dernier. Une courte visite pour présenter les dernières cuvées de « The world’s most drinkable address », comme le disait sir Winston Churchill qui a été honoré par la création en 1984 d’une cuvée (Magnum 1975) qui porte son nom. À votre avis, combien de millésimes ont été déclarés pour cette cuvée de prestige ?
Cette cuvée a toujours été élaborée dans les meilleures années : 1979, 1982, 1985, 1986, 1988,
1990, 1993, 1995, 1996, 1999, 2000, 2002, 2004, 2006, 2009 et 2012.
La maison Pol Roger, fondée en 1849, est l’une des dernières grandes maisons familiales champenoises dont la qualité des cuvées a toujours été constante. Longtemps cataloguée comme « British » dans son style, je pense que c’est davantage au fait qu’elle rayonnait sur le marché britannique, plutôt qu’à une vinosité puissante dont raffolent les amateurs anglais.
Au cours des premières années de son établissement, elle vendait ses champagnes « sur lattes » (les
bouteilles étaient réservées au moment de leur prise de mousse lorsqu’elles étaient encore couchées sur des lattes de bois dans les caves) aux marques négociantes déjà établies.
Il fallut attendre 1876 pour que la famille Roger vende ses premiers flacons en Angleterre sous son nom (millésime 1865), grâce au négociant John Conrad Adolphus Reuss.
L’actualité de la maison l’a d’ailleurs fait replonger dans le passé puisqu’en étudiant dernièrement la possibilité d’agrandir le site de production à Épernay, la direction est retombée sur la zone qui s’était affaissée en 1900, provoquant à l’époque l’ensevelissement d’un million et demi de bouteilles et de 500 tonneaux de vin !
Cette perte avait failli faire disparaître la marque dirigée alors par Maurice et Georges Roger, les fils de Pol Roger.
C’est la solidarité entre familles de maisons de champagne qui avait permis à cette dernière de se reconstruire.
On distingue aujourd’hui des bouteilles vides, cassées et intactes sur le chantier éventré, mais la prudence préconise d’abord une sérieuse étude du sol, un sondage méticuleux des lieux, avant d’envisager de remonter ces flacons centenaires.
Pour Damien Cambres qui vient de succéder en tant que chef de cave de la maison à Dominique Petit, nul doute que 2018 sera parmi les grands millésimes de sa carrière !
Lieu : 1, rue
Winston Churchill – 51200 Épernay
Téléphone : 03 26 59
58 00
Cuvée Pol Roger – Pure – Extra-Brut
16/20 et 3 étoiles dans le Guide Revel
L’assemblage des vins est
identique au Brut Réserve de la maison, mais la provenance des crus est différente. Aucun dosage n’intervient lors du dégorgement. Le premier nez rappelle la farine, la levure de boulanger,
puis il s’ouvre sur une minéralité plus classique, plus iodée. L’attaque en bouche est
très fraîche, elle offre un vin sec, aux notes de tabac blond, très
originales. Les bulles de calibre moyen sont en harmonie avec la rondeur de la texture
qui offre en finale quelques notes citronnées vivifiantes.
Une belle réussite dans cette catégorie de champagne qui s’est étoffée parmi les marques établies.
Cuvée Pol Roger – Brut Réserve
16/20 et 3 étoiles dans le Guide Revel
Classique dans sa
facture dans le bon sens du terme, c’est à dire que cette cuvée s’illustre par l’équilibre de chaque niveau de
dégustation. Nette sans être mordante à l’attaque, ronde sans être lourde en
bouche grâce à une mousse à la fois compacte et légère, biscuitée sans être beurrée,
sobrement parfumée (fleurs, poires, légère pointe graphite), finale brève et vivifiante, elle
a tout pour ouvrir l’appétit et présente déjà la signature de la maison dans
son enveloppe presque maltée et toujours imprégnante.
Le Brut Réserve de Pol Roger est le genre de cuvée à avoir en permanence dans son cellier.
Cuvée Pol Roger – Brut Réserve 2008
16/20 – 2 étoiles et demi
Le fruité en bouche est plus rouge que blanc (raisins, groseille), alors que le nez se montre encore axé sur la levure de boulanger, la mirabelle, le malt blond. Il bouge beaucoup, il désoriente. Déconcerté, je laisse le vin se reposer dans le verre un bon quart d’heure.
Et je retrouve alors la signature de la maison : élégance et vinosité.
Un chablis grand crus d’une bonne dizaine d’années se présente alors moi; avec des bulles ! L’enveloppe citronnée habille une texture pleine et dense, aux arômes de tarte amandine, de poire chaude, puis de citron confit en finale. La vinosité de l’ensemble est blonde, c’est à la fois riche et digeste, c’est donc réussi, prêt à boire aujourd’hui avec un met qui lui ressemble.
Homard au beurre blanc ? Ça tombe bien, c’est la saison !
Cuvée Pol Roger – Brut Réserve 2002
18/20 et 4 étoiles dans le Guide Revel
Commercialisé au bon moment, soit au printemps 2012 et dégusté une première fois en juillet de la même année, ce vin, en 2018, continue de donner l’impression qu’on entre dans une pâtisserie dès qu’on le porte à son nez. Son crescendo aromatique parle tout seul : tarte au citron, nougat, lait au miel, kouglof, orangettes, l’ensemble étant couronné par des effluves de four de boulanger en pleine cuisson ; le temps qui a passé l’a paré d’une texture soyeuse, illustrée par une effervescence dont les perles s’accrochent aux papilles tout au long de la dégustation.
Un fin rancio d’évolution pointe en finale, quoi de plus normal !
Du grand champagne qu’on ne peut désormais trouver que dans les celliers des amateurs, prévoyants il y a dix ans…
Cuvée Blanc de Blancs – Brut 2009
17/20 – 3 étoiles
Cette cuvée se montre délicate au premier nez (guimauve, mie de pain) pour se faire plus expressive et classique à l’aération (pâtisseries à base de frangipane, voire de vanille). Particulièrement fondante en bouche grâce à des bulles nouées, la texture soyeuse procure un volume dense, voire charnel, qui donne l’impression d’une cuvée Sàten de Lombardie à la surpression de gaz peu élevée. Les arômes restent axés sur la pâte feuilletée, le beurre doux, les toasts blonds, tout est dans la suggestion, la subtilité, la délicatesse.
C’est un champagne d’une très grande classe, prêt à être consommé sur une entrée aussi sobre et travaillée de crustacés, par exemple.
Cuvée Pol Roger – Brut Rosé 2008
17/20 – 3 étoiles
C’est pur, c’est mûr, c’est mature. Ce champagne s’exprime surtout sur les fruits rouges, sur la fraîcheur des fruits et la vinosité parle davantage que la complexité. Bref, ce vin a 10 ans, il est encore jeune, il s’exprime comme un ado, tantôt ferme, tantôt fragile. Les arômes typiquement champenois de pâtisseries sont encore discrets, on les frôlent, mais ils sont encore bousculés par l’énergie. Montrons nous patients et revenons-y dans quelques années…
Amateurs de champagne, vous avez ici un rosé millésimé à glisser sur les clayettes.
Cuvée Pol Roger – Brut Rosé
2002
18/20 et 4 étoiles dans le Guide Revel
Comme de nombreux
2002, il se montre aujourd’hui mature avec une enveloppe très fraîche en bouche qui n’est
pas celle d’une acidité permettant encore une longue endurance, mais celle du raisin juste vif et mûr offrant une sensation désaltérante. Le fruité est rouge (cerise, framboise),
un peu fumé et zesté en finale. Le comportement des bulles est plus aérien que noué, elles apportent la fraîcheur dans la dégustation. C’est un champagne à la sobre vinosité, à
la remarquable élégance.
On passe à table ? Bar rayé à la Toscane par exemple.
Cuvée Sir Winston Churchill – Brut 2004
18/20 ou 4 étoiles
Ce vin est un ado. Certains vont penser que j’abuse et pourtant… Et pourtant, il a tout d’un jeune champagne : le fruité au nez plus blanc que jaune (farine de boulanger, poire, pomme), les arômes en bouche davantage boulangers que pâtissiers (baguette, mie de pain) et dès l’attaque, l’énergie l’emporte sur la plénitude. Seules les bulles qui sont en fait des perles formant une riche onctuosité indique le temps passé en cave et la grande éducation de cette cuvée. Car c’est un ado éduqué. Il est encore fougueux et démontre sa solidité. Représentatif du millésime de sa naissance, son potentiel d’endurance est encore grand.
Certes, quelques accents maltés se laissent saisir en finale de dégustation, indiquant une légère évolution amorcée, toutefois, ce SWC 2004 séduira immanquablement vers 2024… et sans doute plus loin encore.
Cuvée Sir Winston Churchill – Brut 1999
19/ 20 ou 4 étoiles et demi
Dégustée une première fois en novembre 2012, redégustée en 2018, ce sont de véritables parfums de torréfaction qui s’offrent à nous sans même aérer le vin (malt de blé noir, tiramisu, capuccino). La texture en bouche est d’une suavité exemplaire, elle nous rappellerait presque un Puligny-Montrachet légèrement effervescent. L’ensemble est à la fois distingué et imposant (l’année solaire s’exprime encore), on est en présence d’un champagne qui nous fait penser au confort soigné des grands vins blancs.
Un grand moment pour les réceptions mémorables.