Peut-être davantage que d’autres appellations françaises, la Champagne a toujours été le témoin ou la victime des vicissitudes de l’histoire militaire de la France par sa position géographique. Aucune maison de champagne créée depuis les années 1730 n’a été épargnée. De Venoge est l’une de ses représentantes exemplaires d’une apogée, d’un déclin et d’une renaissance. Retour sur la famille De Venoge, originaire de Suisse et qui doit son nom à la rivière Venogiz.

Famille bourgeoise référencée dans les archives de Lausanne dès le XVIIème siècle, ses représentants sont tantôt magistrats, tantôt pharmaciens et pasteurs. C’est d’ailleurs le petit-fils de Pierre-Claude Devenoge, pasteur de son état dans le Canton de Vaud, qui immigra en France sous Louis XVIII, après avoir "fait ses classes" dans les affaires en Italie.

Henri-Marc De Venoge s’installe en France en 1825, à Mareuil sur Aÿ, à titre de commerçant pour y vendre draps et champagnes, comme de nombreux immigrés d’outre-Rhin. Ses affaires prospérant, il dépose son nom en 1837, date de naissance de la maison de champagne De Venoge. Ses marchés principaux seront alors la Belgique, l’Allemagne, la Suisse, le Danemark et l’Angleterre. 

Il se distingue au milieu du XIXè siècle en lançant des bouteilles qui présentent une étiquette ovale colorée du nom de la marque, la majorité des flacons de l’époque étant encore expédiée sans vignette. Seuls le nom du village, du millésime et/ou de la maison étaient mentionnés par un badigeon de chaux.

Ses fils Joseph et Léon seront les initiateurs de la reconnaissance internationale de la marque, Léon s’installant au États-Unis pour la développer. Les noms des cuvées toujours d’actualité sont lancées à cette époque : le Cordon bleu (1851) et le Vin des Princes (1858). Joseph sera président du tribunal de commerce d’Épernay jusqu’à son décès en 1866. 

Son fils Gaëtan qui l’avait rejoint 2 ans plus tôt à titre de directeur des exportations, visite souvent son oncle aux États-Unis. Le champagne De Venoge reçoit le Grand Prix de l’exposition universelle de Philadelphie en 1876, 4 ans après la fondation du Syndicat des Grandes Marques dont Gaëtan est l’un des instigateurs.

Sa fille, Yvonne, née en 1869, épousera le marquis Adrien de Mun. C’est sous la direction de ce dernier que la maison De Venoge passera le cap du million de bouteilles élaborées et qu’elle sera la marque des artistes parisiens en vue et de l’aristocratie française, lors des années folles. Jusqu’à cette époque, De Venoge – comme d’autres marques – est la digne représentante de la construction du champagne, de son établissement populaire et de sa prospérité. Elle témoigne véritablement de l’évolution économique de la société française et des tendances ludiques de l’hexagone. L’histoire du XXème siècle entérine ce constat. 

Les émeutes des années 1910 en Champagne et surtout La Grande Guerre n’épargnent pas la maison. Ses installations de vinification et son siège social sont détruits, elle perd progressivement ses marchés extérieurs, ne pouvant plus s’approvisionner auprès des vignerons. La crise des années 1930 qui suit, achève son déclin populaire, la production et les expéditions péricliteront jusque dans les années 1950. La famille De Venoge cédant la marque en 1958, celle-ci connaîtra alors l’instabilité au sein de plusieurs entreprises pendant 40 ans, avant de connaître une renaissance palpable grâce au groupe Lanson BCC qui la rachète en 1998.

Dirigée depuis 2005 par Gilles Morisson de la Bassetière, De Venoge renoue des liens solides avec ses marchés d’antan, la qualité de ses cuvées étant également un gage de fidélité retrouvée… 
Le siège social de la maison s’installe au 33, avenue du champagne à Épernay en 2015 et comme l’oenotourisme bat son plein, il est décidé que certaines dépendances du domaine seront converties en appartements et chambres de luxe pour accueillir les amateurs de bulles marnaises. 

Avant d’aller les découvrir sur place, je vous invite à déguster une ou plusieurs des 7 cuvées De Venoge, proposées au Québec. Les voici présentées:

Cordon Bleu – Brut – 54,75 $ :

Ronde grâce à une effervescence serrée et impétueuse en bouche, aérée par des flaveurs d’agrumes confits, cette cuvée
se révèle onctueuse sans être trop riche avec une sensation mielleuse en finale qui en fait un champagne plus profond et
complexe que les cuvées similaires des autres marques. Une grande et agréable surprise, digne d’un plat de poisson en
feuilleté, par exemple.

Blanc de Noirs – Brut – 57,70 $

Un champagne qui pinote, qui sent les noyaux de fruits, démonstratif de sa puissance même si les arômes de levures au premier nez présentent la fraîcheur du terroir. Les bulles sont de calibre moyen, elles transportent dans leur légèreté quelques accents grillés séduisants. Je le préconise davantage sur un apéritif gourmand qu’un service à table.

Cordon Bleu – Brut 2002 – 77,25 $

À moins de 80 $, cette cuvée toujours disponible au Québec est une aubaine, car il n’y a pas de champagne millésimé 2002 de grandes maisons actuellement dans la province. Expressive et mature, elle présente des flaveurs de fruits secs, de toasts blonds, puis de tiramisu si vous la laissez s’ouvrir 15 minutes dans votre verre. Le rancio du temps passé est perceptible en bouche, le caractère vineux parcourt la dégustation, les bulles très fines l’accompagnent, on savoure. Digne d’un grand vin blanc, ce Brut 2002 prouve une fois de plus que le champagne se garde avantageusement et se partage aisément à table sur des mets raffinés. 

Princes – Blanc de Blancs – Brut – 95,75 $ :

Fermeté
et vinosité sont les atouts de ce champagne au nez discret de macarons, de
pommes vertes et d’agrumes qu’on retrouve en bouche dans un comportement tendu
que seule l’effervescence crémeuse vient dompter. Juste assez sec et vif pour
l’associer au plateau de fruits de mer.

  

Princes
– Blanc de Noirs – Brut – 95,75 $ :
 

Fermeté
et richesse pour cette cuvée où la finesse des bulles est exemplaire. Leur
comportement noué, formant un volume compact, est exemplaire. Le vin pinote un
peu (noyaux de cerises), les arômes de levures se laissent capter, la finale
reste intense, on savoure en pensant qu’un feuilleté aux quenelles de veau
serait le bienvenu.    

Princes – Rosé – Brut – 95,75 $ : 

Vinosité
et tannins sont les deux caractéristiques de cette cuvée qui fleure bon les
agrumes roses et l’acidité de petits fruits rouges. Dense, l’effervescence crée
un volume à la fois aérien et tapissant qui équilibre le comportement quelque
peu autoritaire. Un champagne taillé pour la table qui accompagnera aisément
une souris d’agneau confite.

 

Louis XV – Brut 1996 – 239,75 $

C’est en 2006 que cette cuvée de prestige nommée Louis XV  a été créée. Elle a remplacé une cuvée, autrefois appelée Grand Vin des Princes.  Prête à boire, elle est parmi les grandes cuvées de champagnes rares, issues d’un millésime synonyme de vivacité et d’endurance. Le premier nez rappelle la pâte à tarte, encore un peu la farine, la levure de boulanger, puis le lait aux amandes. L’aération offre des arômes
plus séduisants de tarte au citron, puis de frangipane. L’attaque en bouche est encore tendue, le vin est étonnamment minéral, toujours axé sur les agrumes (citron et bergamote). 
Seul le comportement de l’effervescence nous rappelle que ce vin a plus de 20 ans: les bulles sont des perles, elles filent vers une finale peu nerveuse, mais riche et aromatique (beurre, orangette, noisettes). On devine encore une certaine tension qui complètera les quelques gouttes de citron sur une sole meunière, sur un homard au beurre blanc ou sur quelques ris de veau grillés. 
Somptueux dans tous les cas, ce vin est taillé pour un service à table.

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