La première cuvée La Grande Dame (millésime 1962) a été lancée pour le bicentenaire de la Maison VCP, en 1972. Jean Boureux était alors le chef de cave de la maison. Les grands millésimes se sont succédés, toutefois, il n’y a pas eu de 2002, Jacques Peters, oenologue d’alors, avait préféré réserver cette récolte pour le millésime classique de la maison (carte jaune). On notera que la silhouette du flacon a quelque peu évoluée à partir du millésime 1985. 8 grands crus sont assemblés dans l’élaboration de cette cuvée (Montagne de Reims et Côte des Blancs). En 1996, ce fut la commercialisation du premier millésime rosé La Grande Dame Rosé (millésime 1988).
C’est dans le cadre d’une visite récente à Montréal du 10ème chef de cave de la maison, M Dominique Demarville, qu’a été offerte la dégustation de 6 millésimes de la cuvée La Grande Dame. Je me suis permis d’intercaler mes commentaires de la vendange 2004 puisque c’est elle qui est actuellement sur le marché.
2006 : Le dernier
millésime pour la Grande Dame, année chaude et riche (la contre-étiquette
propose la date de dégorgement depuis ce millésime) / dégorgé ici en janvier 2014.
Nez très fin, profond qui rappelle les confiseries de luxe comme le
nougat, un peu les baklavas après quelques minutes dans le verre, exacerbé par
la température ambiante. La bouche est encore jeune, les contours tirent vers
les zestes, on perçoit toutefois le caractère compact et riche de la maison
dans le comportement de la chair. L’effervescence est très soignée, les bulles
sont très fines et persistantes. Les arômes pâtissiers se laissent capter après
un quart d’heure dans le verre. À la fois fougueux et déjà imposant, ce
champagne devrait facilement passer 2020.
2004: parmi les meilleurs millésimes de la décennie qui semble, toutefois, évoluer rapidement
Nez expressif, déjà subtilement toasté au premier nez, plus axé sur les fruits jaunes confits après quelques instants dans le verre. L’attaque en bouche présente pourtant un adolescent: ferme, tendu, nerveux dans le comportement, avec des accents aromatiques sur la frontière de l’évolution (amande, croissant, spéculoos). L’effervescence est riche, soignée, imprégnante, plus en avance dans son développement que les parfums qui parcourent la dégustation. Le style apparaît plus gothique que roman, tout est étiré, ciselé, plus imposant par la longueur que par le volume. Ce champagne déroute, bouge beaucoup, on pourra l’apprivoiser sur une entrée froide de carpaccio de pétoncles subtilement citronnés ou l’attendre jusque 2019 pour le découvrir plus imposant.
1998 : un millésime un peu
occulté par la dimension des 1995 et 1996, pourtant solide dans le temps.
Craie et silex au premier nez, puis très légèrement pâtissier (guimauve,
chocolat blanc, croissant), l’attaque en bouche confirme la minéralité
immédiatement récupérée par la suavité de la texture qui sert des notes de
pâtes feuilletée au sein de perles fines et nouées. L’enveloppe est encore
citrique, la fraicheur champenoise parle d’elle-même. C’est un grand champagne
qui peut sans doute se glisser encore sur les clayettes jusque 2023.
1989 (dégorgé en 1996) :
millésime solaire
Nez incroyablement jeune de fruits jaunes confits et même de levure,
puis davantage axé sur la torréfaction à l’aération, après quelques minutes.
L’attaque confirme le crescendo du nez avec cette enveloppe très
« Clicquot » qui rappelle le pamplemousse rose. L’effervescence est
plus aérienne que sur les précédents millésimes, c’est elle qui expose la
fraîcheur. Magnifique cuvée à glisser sur un plat aussi travaillé, aussi
somptueux.
2006 Rosé
Nez discret, voire fermé, très légèrement fumé. Aérien dans le
comportement en bouche, même si l’attaque reste ferme. Quelques accents
aromatiques de noyaux de cerises se laisse capter, la vinosité est bien
présente, toutefois, ce vin apparaît en dormance et la complexité combinée à la
richesse attendue des Grande Dame est occultée. Un champagne actuellement peu
expansif, sans aucun doute endurant et solide. À redéguster vers 2020.
1998 Rosé
Nez salin, iodé, d’une fraîcheur étonnante. Seule la couleur Cognac
rougeoyant rappelle son âge. La texture est fondante, les bulles sont à la fois
fines, riches et détachées. Multiples dans les arômes, on va de notes de noyaux
à celles d’orangettes en passant par celles de cacao au sein d’une
effervescence plus « légère » que sur les blancs de la maison. Un
grand rosé qui peut facilement se glisser en cave jusque 2018.
1976 (blanc) Flacon d’origine (rétréci au dessous des épaules) / C’est avec le millésime 1985 que la bouteille aura la forme actuelle (toutefois commercialisée dans les deux silhouettes sur cette vendange).
Quel nez ! Quel crescendo aromatique ! Cire d’abeille,
pignon de pain grillé, pain grillé, bolet, grué de cacao, truffe après 15
minutes dans le verre et d’une fraîcheur à l’attaque en bouche confondante. Les
bulles sont fines et persistantes, et curieusement, la Champagne s’illustre
davantage ici dans sa blancheur et sa tension que le millésime caniculaire
lui-même. Longue, étirée, complexe, encore tranchante. Immense et rare. La preuve renouvelée que oui, le champagne à travers ses grandes signatures est parmi les plus grands vins blancs de garde.
Merci M
Dominique Demarville pour cette dégustation. Merci pour ce grand souvenir.