Ils étaient marginaux il y a une dizaine d’années, ils sont « à la mode » aujourd’hui, même s’il s’en fait depuis toujours sous un autre vocable, surtout au nord-est de l’Euphrate : orange par tradition, nature par absence de technologie. Les vins oranges et « nature » n’envahissent pas encore les menus des restaurants, toutefois, il y sont bien présents. Pourquoi un tel engouement ? Sont-ils donc tous bons ? Non évidemment. Pourquoi cet intérêt alors ? Parce qu’ils plaisent à une génération de consommateurs qui ne peuvent pas acheter les grands noms « classiques » du vin ? À moins que ce soit parce que cette génération n’a jamais pu en boire, de ces grand vins ! Formatées au vin « nature », au vin bio, au vin orange, les papilles de ces nouveaux consommateurs seraient-elles unidimensionnelles ? La Y et les milléniaux, versus la X et les baby boomer ? Selon moi, ce n’est pas juste une question de goût, c’est aussi une question de coût. Et d’époque scolastique.

La courte conversation qui suit a déclenché l’idée de cet article (entamé il y a 12 mois) dont la fin pourra peut-être faire réfléchir mon cousin. Et d’autres amateurs de vin… 

Un cousin : Ce n’est pas un vin nature ou bio ton vin ? 
Moi : non, mais je suis heureux de pouvoir l’ouvrir avec toi. Il fait partie des références, je pense… Je connais beaucoup de monde s’intéressant au vin qui aimerait le goûter.
Un cousin : Avec tout ce qu’on met dans le vin, moi désormais, je ne bois que du bio ou du nature. Les autres sont tous maquillés. Quand t’as goûté au vin nature, tu te détournes des autres. 
Moi : il y a quand même quelques flacons qui sont excellents et qu’on se doit, je pense, lorsqu’on se dit amateur de vin, de déguster lorsqu’ils nous sont offerts, même s’ils ne sont pas certifiés bio ou autre, non ? 
Un cousin : c’est un choix que je fais, je l’assume. Je bois vrai. 
Moi : Bon. Bois vrai. Je ne t’offre pas un verre de la seule bouteille d’Ausone 1990 que j’ai. J’aurais peur de t’empoisonner…

 

vins oranges

Il y a un an à Montréal se tenait Le Jugement de Montréal, une dégustation annuelle lancée par le Raspipav en 2010.
Le Raspipav est l’association des agences de vins d’importation privée au Québec qui tient son salon chaque fin d’octobre à Montréal au Marché Bonsecours. C’est lui qui a permis de faire connaître aux consommateurs québécois la plupart de ces vins alors marginaux (appelons un chat, un chat) : les bio, les biody, les macérations pelliculaires, les pet’nat et j’en passe.
C’est lui qui a poussé la SAQ à s’y intéresser.
Je ne vais pas revenir ici sur les résultats de cette dégustation 2019 de vins oranges, vous pouvez les découvrir ici.

Par contre, je reviens sur les échanges du jury qui ont eu lieu après cette compétition. Plusieurs constats ont été faits :
– les vins oranges sont encore méconnus du grand public,
– ils font saliver la jeune sommellerie actuelle parce que c’est à elle que les vignerons s’adressent, parce qu’elle est la passerelle vers le consommateur.
– les vins oranges ont une polyvalence en matière d’harmonies culinaires qui facilite le travail du sommelier face au client qui ne sait pas se décider pour un blanc ou pour un rouge.

Alors qu’il était délicat de le soulever, j’ai suggéré à mes collègues journalistes et sommeliers présents, que le vin orange était peut-être attrayant auprès des jeunes sommeliers et des nouveaux consommateurs parce que, plus simplement, ces derniers n’avaient jamais pu déguster les grandes signatures de vins, dit classiques ! 

Vous savez, tous les grands crus classés du Bordelais ou de la Bourgogne, les grands noms toscans, piémontais, castillans, rhodaniens ou ligériens, les étiquettes illustres de Californie, d’Australie ou du Chili.
Je ne vais pas les citer, vous les connaissez par coeur…
Ils n’en ont jamais bu de ces vins là !
Que ce soit au cours de leurs études ou actuellement, dans leur début de carrière professionnelle, ils ne peuvent pas les déguster ces grands noms.

Simplement parce qu’ils sont devenus inabordables ces grands noms, indécemment inaccessibles ces grandes étiquettes renommées !

Alors que certaines écoles hôtelières trouvaient encore, il y a 20 ans, le budget pour faire découvrir à leurs élèves un pinot noir du Clos de Vougeot, un merlot signé de St Émilion, un Premier Cru classé du Médoc, une pointure « sangiovésée » toscane ou même, une syrah mythique d’Ampuis, une autre bien née de la Barossa ou un nebbiolo d’une ancestrale famille piémontaise, il est aujourd’hui impossible d’initier avec les vins qui ont séduit les générations antérieures de sommeliers.

Comme parfois avec les vins effervescents, les vins oranges sont, selon moi, une solution pratique, fiable et solide pour remplacer un vin blanc ou un vin rouge dans un accord délicat à table.
Et c’est bien pour cela que le vin orange a de l’avenir.
Parce qu’il étonnera toujours le dégustateur ouvert d’esprit.
Qu’il soit salin ou oxydatif le vin orange, il soulèvera la curiosité, il provoquera les conversations.
Et rien que pour cela, il a sa place à table.
N’est-ce pas là que les meilleurs échanges se font ?

Le vin nature est un vin plus politique. 
Le choix de sa naissance est comme une adhésion à un parti, à une idée personnelle de la création d’un vin dont on défend des principes.
C’est l’accouchement à la maison, plutôt qu’en clinique…
Le vin nature provoque ainsi une réflexion chez le consommateur qui se retrouve dans la position d’un éventuel partisan à séduire.
Cependant, au-delà de l’engagement scolastique, le vin doit être bon, avant tout.
Et là, c’est une question de goût, de goût personnel, déterminé par la culture, avant l’instruction et la réflexion.

Malheureusement, nous vivons une époque de clivage; où les doctrines alimentaires déroutent les non initiés; où la cause environnementaliste s’immisce dans la notion de goût comme un procureur, rarement comme un médiateur; où le jugement facile précède la réflexion, bref, où les casquettes doivent être de couleur rouge ou de couleur bleu.
C’est tout. Pas d’autres couleurs.

L’homme fait du vin depuis 5000 ans.
Avez-vous remarqué que toutes les couleurs de peau dans le monde sont les mêmes que toutes les couleurs du vin ?
Revendiquer une couleur, c’est être raciste.
Le racisme aurait-il gagné, aussi, la façon de consommer le vin ?
À lire et à entendre certains propos, je le crains.

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