Parmi les petites histoires de la légende sur la création du champagne, il y a celle du voyage de dom Pérignon à Limoux pour y parfaire ses connaissances en vinification… Cette anecdote assiérait les compétences du moine dont parlent ses contemporains et elle cautionnerait aussi les travaux d’une vie de recherches pour rendre meilleur le vin d’alors, voire pour le rendre effervescent… Cependant, si l’on se fie précisément et seulement aux écrits d’époque, le célèbre procureur de l’abbaye d’Hautvillers dont on a fait le père du champagne, n’a jamais bu un seul vin mousseux de sa vie, qu’il soit de son terroir ou d’un autre…

Bien sûr que dom Pérignon a bu du champagne, son champagne !
Toutefois, son vin était tranquille.

La question n’est pas qui a inventé l’effervescence dans le vin ? Puisque la réponse est simple : la nature seule l’engendre, la maintient ou la défait.

La question est : qui a désiré créer de l’effervescence et la maintenir dans une bouteille ?

Cette question génère bien des débats et agace souvent les représentants de certaines régions viticoles où le vin pétillant est emblématique ou populaire (Champagne, Limoux, Angleterre, Lombardie, Pénédès, etc).
Chacun « défend son biscuit » en apportant un argument historiquement archivé pour mieux commercialiser ses bulles.

Le vin effervescent embouteillé est, en fait, une création empirique et collective, tributaire de l’évolution des techniques de vinification et de conditionnement, des modes de consommation et des arts de la table, dans toute l’Europe « post-Renaissante ».

Et concrètement, ce serait plutôt le climat qui aurait engendré l’effervescence vinique : ce qu’appellent les climatologues, le petit âge glaciaire, une période de refroidissement qui a touché l’Europe durant 4 siècles, dont certaines décennies ont présenté des étés froids et des hivers glacials.
Les conséquences ont été nombreuses et variées, celles qui ont touché la flore et sa conduite par l’homme ont été déterminantes dans l’apparition de nouveaux produits dont le vin… qui devînt pétillant.
Les régions dont l’amplitude thermique quotidienne était au demeurant conséquente – c’est à dire les zones montagneuses – présentaient déjà des vins pétillants. Les manuscrits des communautés monastiques de Catalogne, du Valais, du Piémont, de Lombardie ou du Trentin en parlent régulièrement.

Même si elle n’était ni comprise, ni expliquée, on l’observait : la fermentation alcoolique était freinée naturellement dans les caves par la fraîcheur des Alpes ou des Pyrénées pour donner des vins avec du sucre fermentescible résiduel, peu alcoolisés et pétillants.
Le nord de l’Italie et le sud de la France – logiquement aux mêmes latitudes – foisonnaient d’abbayes viticoles et brassicoles. Et de celles qui ont laissé des souvenirs manuscrits, on peut y trouver des mentions de vin qui se transforme parfois curieusement, qui bouge, qui dévie, qui frémit dans les tonneaux ou qui, lorsqu’on l’enferme dans un flacon, se met à l’éclater ou à en sortir violemment. Bref, le vin devient quelque chose qu’on ne désire pas !
Qu’on ne désire pas encore…

L’industrie et les autorités contemporaines du vin ont accepté que la communauté Bénédictine de
Limoux soit la gardienne des origines officielles des premières bulles dans une bouteille de vin. L’attestation est un des livres de comptes du calvaire de la ville, datant de 1544, mentionnant une blanquette commandée en bouteille par le seigneur local d’Arques. Écrit en « franco-occitan d’alors », il n’y ait pourtant pas fait mention d’effervescence…

De leur côté, les Britanniques attribuent à leur compatriote Christopher Merret (Morret dans certains écrits) – médecin naturaliste – l’observation et l’explication de la seconde fermentation en bouteille dans les années 1660, ayant entraîné l’essor des vins pétillants dans les cours royales européennes. S’appuyant sur une présentation archivée (d’édition post-mortem), qu’il a donnée à la Société Royale de Londres, aucune ligne ne mentionne un terroir viticole quelconque ou des cépages adéquats. Et sa thèse ne présente pas les étapes d’une construction, mais seulement la recommandation d’emploi de sucre ou de mélasse pour améliorer le vin (ou le cidre !), procurant parfois une effervescence dans le produit fini.

DP 2003

Quant à dom Pérignon, inconnu jusque dans les années 1930 si ce n’est des familles légataires de l’abbaye d’Hautvillers, il doit sa renommée a une habile édification de ses talents dans un but d’abord commercial, qui a néanmoins mené à des recherches historiques substantielles, malheureusement parfois, librement interprétées et rarement corrigées.
Et si l’historien doit s’en tenir aux faits authentiquement retranscrits, dom Pérignon a seulement séparé les variétés de cépages lors des vendanges, répertoriés les meilleurs et élaboré d’excellents vins tranquilles dont la popularité est allée jusqu’à Paris et Londres.
Ses travaux ont considérablement apporté à l’univers viticole et vont influencer ses successeurs. Parmi ces derniers, certains s’orienteront vers les bulles.
Aucun écrit, cependant, ne mentionne les siennes…
Véhiculer que les moines de l’abbaye de Saint-Hilaire de Limoux embouteillaient du vin pour le rendre pétillant relève de la fable.
Véhiculer que c’est au cours d’un pèlerinage chez ses confrères Bénédictins de l’Aude que le jeune dom Pérignon a observé le phénomène de l’effervescence pour mieux l’étudier à Hautvillers, en Champagne, relève de la fable.
Et véhiculer que Christopher Merret a défendu, voire enseigné la seconde fermentation vinique relève de la fable.
Le devoir et la passion ont sans aucun doute guidé ces hommes. Tous ont contribué à améliorer les vins tranquilles grâce à la nature et pour des raisons commerciales.
Certains vins devenant effervescents, ils ont été recherchés par une infime minorité de consommateurs nantis d’alors, issus de l’aristocratie anglaise et française qui ont fait confiance aux disciples de ces précurseurs.

En somme, Dom Pérignon, Christopher Merret et les moines de Limoux ont été les premiers influenceurs de l’industrie du vin effervescent.
Mais ce sont leurs émules qui ont désiré faire des bulles en bouteille.

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