Julie Hubert et Éric Lafrance sont tombés dans les pommes il y a bien longtemps… En se relevant, ils ont eu des envies de cidre. D’abord tranquille, puis gazéifié, puis en méthode traditionnelle, enfin de glace pour finir avec des vermouths. Très vite, leur domaine perché à St Joseph du Lac est devenu un incontournable au Québec. Quand l’autorisation de distiller dans la province fut décrétée, les Lafrance firent venir de Bordeaux un alambic Stupfler. Une nouvelle aventure commença; celle des eaux-de-vie… Alors qu’un brandy de pommes (qu’on ne peut appeler Calvados) sortira cet automne de leur atelier, je vous présente leur gin, lancé cet été; en commençant d’abord par une mise au point personnelle…

Depuis 5 ans, la belle province offre des eaux-de-vie "Made in Chez Elle", des 100 % fabriquées au Québec dont les agences de communication, qui en font la promotion, vantent les mérites. 
C’est fait ici, donc c’est bon.
Sauf que le "C’est fait ici" ne veut pas dire "Ça vient d’ici". On peut très bien importer les matières premières du bout du monde pour les transformer ici, afin d’élaborer un produit "fabriqué ici". 

L’eau-de-vie finale, quelle que soit son fruit ou sa céréale de base, ne sera pas forcément admirable parce qu’elle a été élaborée ici. 
Le marketing aime jouer avec la fibre patriotique, voire nationaliste; et ça marche. 
On veut encourager nos entreprises locales, notre économie locale, on achète alors local, on boit local. 
Mais attention, cela ne veut pas dire que le produit est délicieux. 
Il n’est pas médiocre non plus, mais le consommateur doit être prudent avec le "Made in Québec". 

Ce n’est pas parce que c’est fait chez nous que c’est bon. 
L’industrie fruitière, légumière et fromagère en est la preuve. Tout n’est pas bon au Québec, sous prétexte que c’est fait chez nous !
Je préfère le "Mangeons d’abord de saison" plutôt que le "Mangeons coûte que coûte local". C’est un peu différent, mais c’est un autre débat…

Lorsque j’ai donc reçu l’invitation à déguster le Gin Dandy, élaboré par Les Vergers Lafrance, avec la mention bien en vue 100 % Québec, sur laquelle finalement tournait toute la promotion, je me suis dit : "Non, pas encore. Pas eux. Pas les Lafrance. Pas les Lafrance dont j’apprécie – je le reconnais – les produits depuis 20 ans."

Sauf que le 100 % Québec ici, est un vrai 100 % Québec (c’est en tous cas ce qui est véhiculé). 
Le gin Dandy des Lafrance n’est pas seulement un 100 % fait ici, c’est un 100 % tout vient d’ici !
Pommes, raisins et poires qui forment la base, qui forment le moût à distiller, sont de St Joseph du Lac. Les Lafrance ont planté leur propre raisins (sabrevois et frontenac) dans le but d’élaborer leur propre eau-de-vie.

Vous vous dites alors : "Oui, mais si c’est du gin, ils doivent employer des baies de genièvre, puis toutes autres sortes d’aromates qui vont donner une signature réelle au Gin Dandy…"

En effet.

Et logiquement, ce n’est pas sur les bords du St Laurent qu’on va trouver de la cardamome, de la racine d’angélique, des noix de muscade ou les oranges et les citrons pour leurs zestes, qui aromatisent ce gin.

Alors ? Est-ce du 100 % de chez 100 % Québec ?

Ben oui. 
Parce que justement le moût et l’eau – qui forment la base de toutes les eaux de vie élaborées dans le monde – sont ici, de St Joseph du Lac.

Pensez-vous que les Hollandais cultivent leurs propres baies de genièvre pour leur gin ? 
Pensez-vous que les Polonais fabriquent leur vodka avec leurs propres orge, blé, sarrasin ou pommes de terre ?
Même les whiskies écossais sont aujourd’hui élaborés avec des céréales achetées hors d’Europe !

Donc oui, Les vergers Lafrance ont le droit de dire que tout est fait chez eux !

Maintenant, est-ce que c’est bon ? 
100 % "tout fait au Québec" ne veut pas dire que c’est bon.

Pourtant, ça l’est.
Ici, ça l’est.

En relisant mes notes de dégustation, je remarque seulement que le seul point qui m’a titillé, c’est la puissance. Une puissance plus affirmée que subtile.

Pour le reste, chapeau bas !

Très expressif au nez avec une grande fraîcheur citronnée qui accompagne des notes de fleurs de houx. On distingue des saveurs de poires en bouche au sein d’une texture grasse, pourtant aérienne dans le comportement. On n’a pas cherché ici à faire autre chose que du gin, à révéler un parfum avant celui de la baie de genièvre; on déguste un bon gin et c’est bien là l’essentiel.
Finalement plus classique que sophistiqué, ce gin bien habillé porte parfaitement son nom. 
C’est une réussite.

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