À l’instar du québécois, le vignoble Belge existe bien et il bouge sérieusement depuis les années 2000. S’il apparaît dans les textes locaux que la vigne est employée pour élaborer du vin dès le début du IXème siècle, c’est sous la Renaissance que les vins de la Meuse côtoient ceux de la Marne et de la Loire sur les tables de l’Aristocratie gouvernante. Certes, les volumes sont modestes, freinant logiquement la reconnaissance hors de Belgique et cette dernière ayant été très tôt un couloir d’accès pour les troupes armées des monarques à l’esprit conquérant, le défrichement occasionné par les conflits et l’abandon forcé des treilles par les moines à la fin du XVIII ème siècle, a régulièrement enrayé le dynamisme vigneron. Les années 1950 voient l’ébauche d’une passion retrouvée, les décennies qui suivent encouragent certains viticulteurs, alors perçus comme de gentils farfelus. Toutefois, c’est la création d’une appellation viticole contrôlée en 1997 pour la Flandre, puis en 2004 pour la Wallonie qui marque la renaissance moderne du vignoble Belge…

Un peu de géographie, d’histoire et de législation

  

Flandres au nord,
Wallonie au sud découpées presque parfaitement depuis Mouscron jusqu’à Fourons
se partagent environ 180 hectares de vignes dont 50 % sont consacrés aux
bulles. 
L’autre moitié tranquille est consacrée à 30 / 35 % au vin blanc et 15
/ 10 % au vin rouge, selon les années. Cette équité est également valable en ce
qui concerne le nombre de vignerons puisqu’on en recense une centaine de part
et d’autre. 
Toutefois, seulement une quarantaine commercialise leur vin à la
propriété et parmi elle, une vingtaine de producteurs gère une vraie structure
commerciale de diffusion dans le pays. La majorité des viticulteurs Belges
élabore donc du vin pour son plaisir personnel et domestique. 

Si
comme au Québec, ces passionnés passaient encore pour des originaux dans les
années 1980, ils sont aujourd’hui de dignes et fiers ambassadeurs d’une réelle
profession qui offre de l’emploi. Certes, la production de cols reste modeste
(autour de 700 000), on notera cependant qu’elle a triplé en 10 ans
(2005/2015) et qu’elle continue de croître. 

Encourageant, non ?  

Avec un climat dit
océanique parcouru de pluies fréquentes et de gelées surprenantes, le royaume – et oui, c’en est un – doit composer avec des cépages adaptés. On y trouve donc
les flexibles et classiques pinot noir, pinot gris, pinot blanc, chardonnay,
riesling, gewurztraminer, auxerrois, muscat et müller-thurgau, côtoyant les
plus rares sieger, régent, dornfelder, sirius, solaris et Léon Millot. 

Ces
derniers sont des hybrides issus de croisements créés au cours du XXième siècle
grâce à des expériences menées en Suisse et en Allemagne. Côté appellation,
le pays se construit et le sujet semble entraîner bien des débats, notamment à
cause de la division linguistique, de l’emploi de cépages non reconnus, de la
pertinence en matière d’étiquetage, de la tiède implication gouvernementale et
du caractère de tout un chacun de la filière. 

Ça me rappelle un autre pays,
c’est curieux ?  

Forcément, c’est le
consommateur qui est pris en otage puisqu’il n’y comprend rien. Laissons donc
le temps au temps, il paraît qu’il est le ciment de la raison.

  
Bref, la Flandre
obtient ses premières AOC en 1997 et en 2000 (Hagelandse Wijn et
Haspengouse Wijn), puis la Wallonie en 2004 (Côte de Sambre et de Meuse, Vin de
Pays des Jardins de Wallonie). Suivent les appellations Heuvelland et Vlaamse
landwijn dans les Flandres en 2005. Toutefois, les gouvernements flamand et
wallon accordent la possibilité de mentionner des dénominations régionales pour
les vins mousseux et les vins de table sous des conditions d’emplois de cépages
précis.

  

Les autres bulles du royaume de la BD

  

Pour mieux
connaître la géographie viticole de la Belgique, je conseille de commencer à
travers ses bulles, car on peut y trouver une quarantaine d’indications
régionales (certaines n’élaborant qu’un millier de bouteilles). Ces bulles
donc, représentent la moitié de la production nationale. On les trouve sous
trois dénominations, Vin Mousseux de Qualité de Wallonie, Crémant de Wallonie
et Vlaamse Mousserende Kwaliteitswiijn. Elles ont été fixées par arrêté
ministériel en 2005 pour les Flandres et en 2008 pour la Wallonie. Cuve close
ou méthode traditionnelle (nettement dominante), lieu de production, transport
de moût, rendement et cépages déterminent la terminologie.

  

Parmi les pionniers
et ceux qui élaborent les meilleures bouteilles, Paul Vleminckx, dans les
Flandres, décide que le chardonnay sera presque exclusif pour élaborer ses
bulles dès les années 1990, il appelle donc son domaine Chardonnay Meerdael. Pinot noir et meunier sont venus compléter depuis, la douzaine d’hectares
située à l’Est de Bruxelles. 

Schorpion, au sud
d’Hasselt, se positionne régulièrement dans le Top 5 local. On y repèrera la
cuvée Fibonacci Brut et le Chardonnay Millésimé. 

Wijnkasteel
Genoels-Elderen
consacre une dizaine d’hectares aux effervescents sur les 24
hectares d’un magnifique domaine, sis à Riemst : sans doute la plus belle
croissance en matière de qualité de vin depuis 20 ans. 

Le crémant de
Torgny du Clos du Poirier du Loup : aussi confidentiel que parfaitement
maîtrisé, grâce à l’emplacement du domaine, le plus au sud et le plus chaud de
Belgique. Ça aide.

Le Domaine du Ry
d’Argent
 : la p’tite bête qui monte, qui monte ? Jean-François Baele, son
propriétaire depuis 2005 a lancé ses bulles il y a seulement 3 ans et déjà, le
plaisir est au rendez-vous. Le plus important, non ?

Philippe Grafé et
le Domaine du Chenoy, c’est le pragmatisme et l’expérience au service de la
passion : ici, pas de nobles cépages, seulement du Suisse et du Germanique
entre-croisés. Et même si j’ai trouvé ses vins tranquilles plus aboutis, sa
Perle de Wallonie vaut le déplacement pour connaître le Johanniter, l’hélios et
le bronner assemblés. 

Et pour finir,
l’incontournable Vignoble des Agaises et son propriétaire Raymond Leroy :
avec sa cuvée Ruffus (B de B chardonnay), il titille les meilleurs mousseux
d’Europe et se permet régulièrement de passer devant les Bourguignons ou les
Ligériens dans les concours à médailles. S’il y a un mousseux à goûter en
Belgique, c’est celui-ci.

  

Un
étang plutôt qu’une mer de la tranquillité

  

Le plus délicat lorsque vous goûtez un bon vin
Belge tranquille, c’est qu’on vous annonce généralement qu’il n’y en a plus si
vous désirez en acheter. D’abord parce que la production – nous l’avons vue – est confidentielle, ensuite parce que le Belge aime la bonne chère et qu’il consomme toute la
production vinique nationale, sans pour autant crier tayaut (!) on a le
meilleur vin du monde. 
Modeste et gourmet le Belge, c’est surtout chez le
particulier que les précieuses – achetées sur place au vignoble – se cachent,
même si quelques restaurants et cavistes offrent les bouteilles les plus
médiatisées. 
La Belgique est sans doute le pays des plus belles caves privées
au monde, je tiens aussi à le souligner…

Globalement 350 000 bouteilles de vin blanc et
rouge tranquille, sec ou moelleux, tout producteur confondu, sont disponibles
annuellement sur le marché, c’est peu effectivement. 
Alors, si la Meuse et la
Sambre forment les lacets de vos prochaines vacances, essayez ces quelques
flacons : l’original et gouleyant muscat ottonel du Domaine
Li-Bètch-Aus-Roches
, le très soigné vin de paille du Vignoble de la Marinière,
le délicat müller-thurgau du Château de Trazegnies, le « vin de table
Brabançon » du Domaine de Mellemont, un rouge souple et épicé qu’une darne
de thon grillée épousera aisément, le croquant chardonnay du Domein ‘T Convent,
le pur kerner optima du Domein de Kluizen, le déjà classique pinot gris de
Pietershof, le prometteur Terre Charlot du Château de Bioul, l’encore plus
prometteur Butte de la Reine du Château de Bioul et pour finir, – parce que celui qu’on se doit de connaître en matière de vin
du Benelux – l’incontournable chardonnay wit, joufflu et parfumé, de Genoels-Elderen.

 

 

  

Voici
une liste de quelques autres vins dégustés qu’on trouvera actuellement chez
quelques cavistes en Belgique ou sur place, chez le vigneron.

  

Les
blancs:

 
Chardonnay
2013 – Cuvée Bonne-Maman – Vignoble des Marnières – Benoît Heggen

  

5 mois en fût de chêne apportent un nez
expressif à ce chardonnay qui fleure bon le pop- corn beurré. Texture grasse et
soyeuse, enveloppe encore citrique au moment de la dégustation (mai 2015),
finale plus gourmande que tendue. Ensemble peu complexe, toutefois équilibré et
frais. Pour une entrée chaude de pétoncles au beurre blanc.

  

La
ferme bleue 2011 – Vin de Pays des Jardins de Wallonie – Johan Lécluse

  

Nez à la fois minéral et terreux, ce vin
présente un 100 % müller-Thurgau à la chair souple et à l’enveloppe un tantinet
amère. Une originalité à la finale un peu courte et chimique au niveau
aromatique (polystyrène), toutefois rattrapée par un fruité agréable.
L’apéritif avec crevettes.                
Les bulles:

Brut de
Crindael – Domaine Pietershof – Méthode traditionnelle

 

Riesling et pinot gris pour un nez expressif
et charmeur de citrons et de pommes confites dont on retrouverait presque les
deux chairs mariées « aromatiquement » en bouche. Les bulles sont
menues, le travail sur lattes a été réussi, l’effervescence est vive et
gourmande, l’enveloppe amère apporte de la mâche. Quoiqu’un peu court en
finale, ce mousseux est vraiment plaisant. Sortez les gougères.

  

Pinot
Brut 2012 – Domaine Aldeneyck – Méthode traditionnelle

  
Les trois pinots sont ici assemblés et offrent
des arômes de pommes fraîchement cueillies. La texture du vin est oxygénée, les
bulles sont de calibre moyen, toutefois paquetées, provoquant un caractère
aérien très plaisant, car digeste. Le dosage est sensible, il n’occulte pas la
vinosité. Peu complexe dans l’ensemble, il demeure équilibré et les huîtres
seront des maîtresses charnelles.

  

Domaine
de Mellemont – Bulles pour lui – Méthode traditionnelle

  

Fruits blancs au nez comme en bouche dont
l’attaque se montre dosée. Ce rapport sucré perdure et occulte la vinosité dont
seuls quelques amers apportent une personnalité plus vinique. L’effervescence
est aérienne, l’ensemble est frais, c’est un mousseux qui apparaît jeune dans
sa conception, il faudra le regoûter d’ici quelques années. Aujourd’hui, je préconise
des canapés avec mousse de foie de volaille.

  

Les
rouges:

  

Buttes
aux lièvres 2010 – Domaine viticole du Chenoy – Côte de Sambre et Meuse

  

Régent et Rondo, deux cépages locaux dits
inter-spécifiques en Belgique sont ici assemblés et offrent au nez des arômes
discrètement épicés, pour se faire très poivrés une fois le vin en bouche.
Texture et saveur rappellent la mondeuse de Savoie, on déguste un rouge souple,
frais, rafraîchissant et d’un bel équilibre général. Une très heureuse
découverte et sans doute le meilleur vin rouge Belge actuellement.
Andouillette, frites, salade et moutarde SVP.

 

 

  

À
propos des cépages mentionnés :

  

Le Régent a été
créé en 1967  par G. Alleweldt qui a croisé les variétés Diana et
Chambourcin. Depuis 1996, les autorités viticoles allemandes le considère aussi
qualitatif que les variétés Vitis vinifera traditionnelles et l’ont reconnu
apte à produire des « qualitätswein » (vin d’A.O.C.).   

Le Rondo a été créé
en 1964 en Tchécoslovaquie. C’est un croisement de Saperavi Severnyi et de Saint-Laurent.
En 1980, le droit de licence de ce cépage a été racheté par l’Institut
vitivinicole de Geisenheim. Le terme Rondo lui a été donné en 1995.

  

Le Solaris a été
créé dans les années 1970 en Allemagne. Cépage blanc très résistant au mildiou,
il rappelle le muscat dans ses arômes, tout en présentant plus de puissance et
moins de finesse.

  

Le Dornfelder a été
créé en 1955 grâce à un croisement d’Helfensteiner et d’Heroldrebe en
Allemagne. Son nom est un hommage au professeur Immanuel Dornfeld qui a fondé
au XIXème siècle la première école d’oenologie germanique. Cépage rouge très
coloré, il est de plus en plus apprécié seul après de longues années d’emploi
en assemblage.

  

Le Sieger a été
créé en 1929 en Allemagne par croisement de gewurztraminer et de madeleine
angevine. Banc ou rose, épicé et peu acide, il est surtout employé en
assemblage ou en vendange tardive.

  

Le Léon Millot est une création de l’institut
viticole de Colmar (1911). On le trouve aussi sous le nom de Kuhlmann. Très
proche du Maréchal Foch dont il a les mêmes origines de croisement (riparia/
rupestris / goldriesling), ce cépage noir est très productif. Léon Millot était
le président de la Société Vosgienne de Viticulture.

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