À la veille de concours de sommellerie dans le monde, dont celui du Québec qui aura lieu à la mi-septembre 2020, je m’aventure sur le délicat sujet du commentaire des vins dégustés à l’aveugle (on dit aussi à l’anonyme). Ayant été juge dans plusieurs compétitions officielles, j’ai noté un fait qui semble s’accentuer avec le temps : les candidats nomment une multitude exagérée, et parfois irrationnelle, d’arômes perçus, au cours de cette épreuve. Alors que l’étude de Charlotte Sinding* – qui a déjà 8 ans – soutient qu’un dégustateur profane ou professionnel ne pourrait percevoir et retenir que 4 odeurs, pourquoi un sommelier compétiteur joue la carte de la démesure ?

Oui, certains cépages ont des personnalités si abouties qu’ils dégagent un, deux, voire trois arômes évidents.
Mais pas 36 !
Dans tous les cas, pas autant au moment d’une dégustation de compétition qui dure entre 3 et 5 minutes.
Sur le papier, oui. Un ou des cépages assemblés, développent une multitude d’arômes, selon des stades d’évolution provoqués par le temps qui passe. 
Parce que c’est justement le temps (et l’oxygène) qui imprègne le vin et fait évoluer ses arômes.

"On décèle des notes de citron, d’agrumes variés, de pommes, de gâteau au fromage qu’on aurait aromatisé aux zestes, puis de miel à l’aération, d’hydromel qu’on aurait laissé trop longtemps sur la table. Il y a une touche beurrée aussi, un peu caramélisée qui rappelle les bonbons butter scotch. C’est un vin d’une belle minéralité. Qui me rappelle la mine de crayon, un peu la coquille d’huîtres… J’y perçois aussi un caractère humide qui rappelle le grenier de ma grand-mère…"

Voilà le genre de commentaire "court" de l’analyse olfactive, que j’ai déjà entendu dans une épreuve !
Imaginez ce qui a suivi lorsque le candidat à donné son avis, après avoir pris le vin en bouche !

Entre les paradoxes aromatiques de cette description et la personnalisation d’un arôme perçu, au demeurant touchant (le grenier de la grand-mère), il est clair que le candidat a ici, joué, d’une certaine habileté. 

Mais il a manqué de perspicacité. 
Ou il a pris les membres du jury pour des sots.

Pourquoi ?

Parce que pour mieux montrer son savoir, pour mieux se protéger aussi, le candidat énonce en fait, des arômes primaires, secondaires et tertiaires (comme on dit), et même des notes qui connotent un défaut.
Forcément, il y a bien un ou deux arômes mentionnés qui auront été effectivement présents dans le vin.
"Je vais étaler ma science, je vais y glisser un peu d’originalité, et le tour sera joué." se disent certains sommeliers compétiteurs face à un jury.

Et bien non.
Je suis désolé. 
Un verre de vin présenté dans un concours ne peut pas présenter autant d’arômes.

En règle générale, le jury a testé le vin juste avant l’épreuve (la même bouteille), il a noté les arômes évidents pour s’attendre à les lui voir présentés simplement, sans fioriture, sans poésie.

Cependant, les feuilles de correction du jury ne semblent pas proposer des retraits de point face à ce genre de commentaire de vin puisqu’au cours de trois compétitions sommelières auxquelles j’ai assisté en 2016, en tant que spectateur, tous les candidats ont adopté le même comportement avec, évidemment, des nuances dans les analyses, et tous, se sont vus féliciter et obtenir la majorité des points pour cette partie d’épreuve !

Pourquoi cela m’a t-il interpellé ?
Parce que nous avons pu, avec quelques collègues du milieu, déguster par la suite, les vins de l’épreuve…
Aucun n’aurait pu recevoir les commentaires pléthoriques entendus. 

Cela m’a fait penser aux contre-étiquettes qui pullulent, en suggérant une profusion de mets incongrus avec le vin que la bouteille contient. C’est grotesque.

Peut-être donc, qu’en matière de consommation comme en matière d’interprétation des alcools, la modération a effectivement meilleur goût…


"Perception des mélanges d’odeurs" par Charlotte Sinding – Thèse soutenue en 2012 (Docteur de l’Université de Bourgogne).

Suivez-moi sur Facebook