Depuis une trentaine d’années, les vignerons du Québec ont tenté des expériences d’encépagements, plus ou moins heureuses. Des variétés ont démontré leur solide adaptation au terroir Québécois qui, finalement, s’est dessiné avec ce qu’on appelle des hybrides et des raisins issus de la vitis vinifera – dits nobles – communément employés dans le monde. Les cépages hybrides (croisement de vitis labrusca ou/et vitis riparia avec la vinifera) ne sont pas moins aristocrates que les autres, mais l’adjectif qu’on leur a donné – synonyme de bâtard – n’a jamais été pour le moins charmeur, à tel point que même les vignerons de la province semblent gênés, aujourd’hui, de dire qu’ils les utilisent, depuis l’émergence des nobles dans le vignoble… Le débat qui perdure sur l’emploi des cépages est selon moi stérile, car après tout, un vigneron qui assume ses choix de plantation, n’a pas à les justifier auprès d’un confrère, mais plutôt auprès du consommateur. Et la justification est finalement dans le verre : c’est bon ou c’est mauvais ! Et c’est parce qu’il s’agit précisément d’une question de goût, que le débat est stérile. Par contre, quand un vignoble accède enfin, après trente années de labeur, à une reconnaissance officielle de ses caractéristiques et de ses valeurs à travers l’instauration d’une Indication Géographique Protégée, c’est-à-dire la volonté politique d’être observé et contrôlé, le débat n’est plus stérile. Il est la voie vers le meilleur.

Le complexe du p’tit pain qui crée le complexe du p’tit vin

Au cours d’une tournée parfaitement organisée par le Conseil des Vins du Québec pour des journalistes, sommeliers et blogueurs, au mois de septembre 2018 (quelques semaines avant l’obtention officielle de l’Indication Géographique Protégée / IGP), plusieurs dégustations et ateliers initiatiques avaient été organisés en vue de présenter le vignoble dans son ensemble. Tout fut parfait, sauf que tous les influenceurs présents (comme on dit aujourd’hui) ont ressenti dans les discussions avec les vignerons ce que j’appelle le complexe du p’tit pain.

"Né pour un p’tit pain"; l’expression populaire au Québec employée pour signifier – et justifier – un complexe de comportement, le plus souvent professionnel, est encore symptomatique dans l’univers du vin de la province, alors que ce dernier a trente années d’existence et qu’une nouvelle génération de vignerons se met en place ! 
En les écoutant présenter l’encépagement de la province, j’avais l’impression d’être sous l’Ancien Régime, au temps de la noblesse, du clergé et du tiers état (le peuple) avec la connotation de mépris pour ce dernier. D’un côté les cépages issus de la vitis vinifera dits nobles (mettons-y le clergé tant qu’à y être), de l’autre, des croisements de ces premiers avec des cépages issus de la vitis labrusca et/ou riparia, dits hybrides, c’est à dire des bâtards; donc le peuple.

Si j’extrapole un peu en nous comparant à du raisin, pourquoi ces cépages hybrides ne seraient-ils pas devenus, comme nous, citoyens, tout simplement ? Libres et égaux en droit comme disent les textes…

Arrêtez donc, vignerons du Québec, de partager votre vignoble en deux avec la noblesse d’un bord et le peuple de l’autre, arrêtez de mentionner systématiquement le terme hybride dont le consommateur se fiche, de toute façon, puisqu’il ne sait pas ce qu’il en retourne, et dites seulement le nom du cépage sans mentionner son origine familiale. Les bordelais n’annoncent pas "merlot vinifera", les bourguignons ne disent pas "chardonnay vinifera" ! 
Cessez de dire "Vidal hybride" parce que justement, ce cépage n’a pas à rougir de son origine, d’autant plus qu’aujourd’hui, ici au Québec, grâce à vous, il est comme le chenin blanc de la Loire : il permet l’élaboration de vins effervescents, tranquilles, secs, demi-secs et liquoreux, et qu’il offre les meilleurs vins blancs du pays. 

Alors qu’il y a encore 10 ans, vous vous chamailliez sur le bien-fondé de l’emploi de la vitis vinifera, il semble que tous, aujourd’hui, partagiez vos hectares avec elle et des hybrides. Arrêtez donc d’être gênés de présenter un vidal, un seyval, un marquette ou un frontenac noir versus un chardonnay, un gamay, un pinot noir ou un cabernet. Assumez l’emploi pertinent de tous, selon votre lieu de production et votre démarche professionnelle sans dévaloriser vos choix.

Après des années de discussions plus ou moins polémiques qui, souvent, m’ont fait pensé à des querelles de cours d’école – soit dit en passant -, les vignerons du Québec sont passés à autre chose, ils ont vu non pas forcément plus grand, mais plus solide, plus cohérent, plus fédérateur, ils ont créé l’Indication Géographique Protégée. Bravo. 
Il faut à présent l’assumer. 
L’IGP, c’est la porte de sortie de l’adolescence.
 
Bien entendu, toute la profession ne va pas immédiatement adhérer à la cause; il faut de tout pour faire un monde, il y aura toujours des voix marginales pour s’élever contre les règles établies, même si ce sont ces dernières qui permettent d’avancer dans n’importe quelle profession. Les procéduriers perdront leur temps en la refusant.
Désormais, grâce à l’IGP, le Québec viticole va être observé de plus loin. Il va être considéré. Je n’entendrai plus en Europe ou ailleurs "ah, vous faites du vin au Québec ?", mais "On a entendu dire que vous faites du vin, que vous avez créé un cahier des charges pour faire avancer les choses. Bravo. En 30 ans à peine, c’est une prouesse." 
Parce qu’elle est là la justification d’un encadrement d’état, l’IGP attire d’abord la curiosité, puis elle force le respect, elle crédibilise, pour enfin se faire inviter aux côtés des autres encadrements officiels.
Il y a 2000 ans, on dit qu’il y a quelqu’un qui a multiplié les p’tits pains. Son histoire a fait le tour du monde. Les vignerons du Québec pourraient s’en inspirer et commencer par éviter, surtout, de penser qu’ils font des p’tits vins.
Vous faites du vin. Point. Et c’est au consommateur de dire s’il l’aime ou pas.

Une reconnaissance publique limitée, tantôt boudée, tantôt plébiscitée

Même si l’on est dans la profession depuis 20 ans – celle qui touche à l’univers du vin et des alcools -, des collègues qui étaient avec moi lors de cette tournée le reconnaissaient : on connaît mal le vignoble de la province parce qu’on ne s’y est jamais vraiment intéressé. 
Il a toujours été considéré comme marginal, ce qui est paradoxal puisque c’est le nôtre et qu’il est là, à notre porte ! Tous les domaines sont dans un périmètre qui ne dépasse pas 200 km depuis Montréal ou Québec, pourtant, certains n’ont jamais reçu la visite d’un journaliste vinique. 
On fait 6000 bornes pour aller voir le vignoble de Toscane, mais on trouve trop loin celui des Cantons de l’Est ! 
Des excuses ? 
Sans doute : le fait d’abord que les vins n’ont pas été distribués en SAQ pendant des années, freinant logiquement la facilité et l’attrait d’y goûter. L’amateurisme des vignerons ensuite, dont beaucoup ont pensé que les raisins étaient comme des tomates dans un potager; qu’il suffisait de les observer, de les cueillir, de faire sa sauce, de la vendre et d’attendre la prochaine saison. Dans l’accueil au domaine, la mise en valeur du produit comme dans la qualité de ce dernier et sa tarification, l’inconsistance l’emportait sur la cohérence. 
Enfin, la qualité inconstante des vins, quelle que soit leur couleur, qui était chronique. 
Confrontée à la critique et à la comparaison de l’offre dans le monopole, le combat était perdu d’avance. On goûtait les vins du Québec, on les comparait, puis on les boudait. Leurs élaborateurs avaient beau les défendre en précisant que leur vin ne pouvaient pas avoir le même goût que ceux de France, d’Argentine ou d’Australie, on leur répondait que malgré tout, cette différence de saveurs pour nos papilles, certes formatées, variait quand même trop selon les millésimes qu’ils nous proposaient. 
Trop de disparités, trop de maquillage et une authenticité limitée ont détourné l’intérêt des influenceurs professionnels.

Aujourd’hui, les vins québécois sont en SAQ et en Épicerie, la plupart des domaines sont ouverts au public et l’accueil est professionnel. Les premiers salons viniques étaient timides, ils sont aujourd’hui attendus par les consommateurs. Les réseaux sociaux entraînent les amateurs derrière leurs réflexions et invitent les profanes à donner leur avis. Bons ou mauvais, pertinents ou vexants, les commentaires nourrissent et font finalement avancer la cause du vin du Québec parce que les vignerons sont mis au courant. Enfin, la tendance du "consommons local", du "buvons local" facilitent la promotion.

Vidal, le chenin blanc du Québec

Puis deux phénomènes se sont produits. 
Récemment. En fait, dans la dernière décennie. 

De nouveaux producteurs sont apparus sans parler de projets de retraite dans l’achat de leur domaine. Ils étaient jeunes, instruits et ambitieux. Faire du vin et retrouver la nature oui, mais une business est une business, et il n’était pas question d’attendre 20 ans pour amortir l’investissement. 
Plus cohérents que leurs aînés vingt ans plus tôt ces nouveaux paysans ? 
Plus lucides sûrement. 
Ils ont profité des erreurs de ces derniers, ils ne sont pas tombés dans les mêmes pièges, ils n’ont pas écouté les pépiniéristes avec l’éternel cépage qui va révolutionner le Québec viticole, ils se parlent entre eux, et puis bien sûr, ils ont profité des nouveaux moyens de communication, sachant que leurs futurs consommateurs avaient un écran à la place de la main. 

Côté jardin, le vidal est sorti du lot. 
Après des années de recherches et d’épreuves, le vidal est devenu la police d’assurance du vigneron québécois. Certes enclin à quelques maladies (notamment le mildiou), il s’est révélé être le plus polyvalent des cépages face à la nature, et surtout, le plus unanime face aux papilles des dégustateurs. 
Le cépage vidal a progressivement eu l’attention et la bénédiction d’une majorité de vignerons qui en ont fait le cépage blanc clef de la province. 
La dégustation de vidal mise en place lors de cette première tournée journalistique a marqué les esprits. Qu’elles soient effervescentes ou tranquilles, toutes les cuvées ont été appréciées pour leurs caractéristiques parce qu’on y reconnaissait le vidal et qu’en plus, la patte du domaine était bien présente. 
Et quand la signature d’un vigneron se laisse saisir au sein de cuvées d’un seul cépage, c’est que le terroir a été perçu, qu’on a tenté de le maîtriser et de le mettre en bouteille. 
Les plus grandes appellations viniques du monde se distinguent ainsi… 
Laissons nos vignerons avancer, ils font des pas de géant.

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