C’est une histoire typiquement gauloise. Celle d’une querelle de chapelles futile dont les français ont le secret et l’exemplaire expertise ! Et l’exemplaire bêtise aussi, au point de freiner l’économie locale d’une région viticole et de ruiner un savoir-faire reconnu et disons-le, ancestral. Parce qu’il s’agit justement de la méthode ancestrale, modernisée ici : celle employée pour élaborer la Clairette de Die. Blanche depuis des lustres, les vignerons du Diois l’ont envisagée en rosé il y a quelques années. Lenteur de l’administration oblige, on a finalement abouti à un décret en novembre 2016 : la Clairette de Die Rosé était née. Aujourd’hui, elle est morte. Pas de sa belle mort. Tuée. Presque un coup de poignard dans le dos. Tuée par son voisin !

En France, le grand manitou du vin s’appelle l’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité). Globalement, toutes les appellations dépendent de ses validations et de ses décisions après les tentaculaires palabres dont l’administration a le secret. Cependant, au-dessus du grand manitou, il y a le Conseil d’État, institution publique qui peut réexaminer un dossier et l’annuler.

En janvier 2018, le Conseil d’Etat français a annulé l’arrêté du Ministre de l’Agriculture homologuant l’extension du cahier des charges de la Clairette de Die au rosé, signé le 16 novembre 2016. Une annulation due à la demande trois fois répétée du syndicat viticole du Bugey-Cerdon.
Plus simplement, les vignerons du Bugey-Cerdon ont réussi à convaincre des fonctionnaires de l’administration politique, au pouvoir plus élevé que celui des fonctionnaires du vin, qu’il fallait tirer un trait sur la création d’un vin rosé effervescent élaboré par leur voisin de la Clairette de Die.
Pourquoi ?
Parce que la « tradition historique de vinification d’une Clairette rosée en méthode ancestrale n’existe pas ».

Ce qui revient à dire qu’en France – et ce qui est plus grave, ce qui revient à entériner légitimement – que si votre ancêtre n’a pas eu une idée ou une habitude dans son travail, vous n’avez pas le droit de l’avoir !

La créativité, la création et l’innovation seraient-elles des droits acquis, des monopoles dans l’hexagone ?
Si je reste sur ce principe de la tradition historique, seule Limoux est donc en droit de faire des bulles en France, non ? (quoique Die en faisait déjà à la même époque.)
Ce qui est curieux, c’est que Bordeaux fait du crémant, Saint-Péray de la méthode traditionnelle et la Champagne en est l’impératrice. Pourtant, ces appellations n’ont même pas 3 siècles de tradition vinique en la matière.

Un autre point qui prête à sourire : La production totale annuelle, et de Cerdon et de Clairette de Die Rosé, aurait peut-être culminée à 2 millions de bouteilles.
Sur l’échiquier viticole mondial qui fait plus de 2 milliards de flacons de bulles par année, quelque chose me dit que la concurrence aurait pu venir d’ailleurs…
Si l’on parle de concurrence bien entendu, parce que dans les faits, ces deux appellations vendent 90 % de leur production chez elles, de part et d’autre du Rhône et du Vercors !

Et pendant ce temps, je connais des vignerons du côté de Venise et de Barcelone qui en sourient et qui se fichent pas mal de la « tradition historique » dans leur conquête des marchés, préférant s’occuper des modes de consommation, bien contemporaine…

Bravo à l’AOC Bugey-Cerdon (AOC depuis 10 ans faut-il le rappeler), merci de prendre le consommateur en otage et d’oublier le simple plaisir du vin.
Ne changez rien.
Continuez de regarder les rangs de vignes de votre voisin français au lieu de vous informer sur ce qui se fait au bout du monde : vos enfants vous remercieront !
Et vive la France dont la jeunesse se barre à l’étranger !

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