En 2012, chaque édition du magazine Vins & Vignobles proposait un article sur une région viticole du Québec, suite à une tournée que j’avais entreprise l’année précédente dans toute la province, pour mieux prendre le pouls d’une profession, alors encore perçue comme marginale chez nous, celle de vigneron. À l’époque, les vignerons venaient d’obtenir du ministre de la MAPAQ une contribution financière pour soutenir la certification Vin du Québec qui venait d’être lancée. 7 ans plus tard, une IGP Québec vient de voir le jour, une preuve que le travail colossal qui a été entrepris il y a 35 ans par quelques fous, n’était finalement pas si utopique.

Certains chiffres démontrent que les précurseurs comme le vignoble des côtes d’ardoise, le vignoble de l’orpailleur, le vignoble du marathonien ou celui du cep d’argent ont eu raison de s’obstiner, non pas en luttant contre le climat, mais en l’accompagnant et en l’écoutant pour mieux servir leurs vignes. 

Presque 130 vignobles produisent 2,2 millions de bouteilles grâce à 700 hectares plantés, et surtout, il y a eu 30 % d’augmentation des ventes de vins québécois en 3 ans ! 
Certes, me direz-vous, c’est facile, puisque la SAQ ne vendait pas de vins locaux il y a 10 ans. 
En effet. 

Sauf que si la qualité n’était pas là, le consommateur québécois les aurait rapidement délaissés pour revenir au choix des 18 000 autres vins proposés par le monopole ! Ce dernier a galvanisé la profession, car en ouvrant ses portes au vin du Québec, il a envoyé un message clair : soyez vigilant, augmentez votre production si vous le pouvez, faites de meilleurs vins et surtout, qu’ils soient constants en qualité, car vous êtes aujourd’hui confrontés au marché mondial et le juge ne sera pas le distributeur, mais le consommateur. 
On a alors vu des vignerons approcher des agronomes, s’entourer d’oenologues et se mettre au marketing afin que leurs vins et leurs vignobles aient une visibilité. L’oenotourisme québécois est ainsi né : les structures d’accueil sont solides, du personnel est engagé, une vraie restauration est offerte, une publicité est mise en place. On parle régulièrement du vin québécois dans les médias depuis une décennie. 
D’autres signes majeurs démontrent que le Québec est désormais un vrai pays viticole. Alors qu’il y a seulement 15 ans, on discutait toujours au sujet des cépages à planter, à garder, à arracher, à cloner ou à écarter, six d’entre eux sont aujourd’hui définitivement établis puisqu’ils composent 80 % de la production. 

Vidal, seyval, frontenac, vandal-cliche, marquette et maréchal Foch côtoient les marginaux muscat de swenson, adalmiina, skandia ou baltica, prometteurs dit-on, qui donnent de bons résultats selon les vignerons; une autre preuve de la créativité locale. 

Si certains domaines ont du mal à écouler leur production qui, parfois, remontent à trois, voire quatre années de vendanges, certains naissent avec force investissement, évitant les écueils agronomiques de leurs aînés, utilisant facilement les réseaux sociaux, visant une clientèle plus jeune, plus ouverte aussi, et profitant de l’engouement actuel pour les produits locaux. 
Le domaine Beauchemin, Domaine du Nival, Pinard et Filles, vignoble Camy, vignoble La Cantina, vignoble du Ruisseau, vignoble d’Oka ou La seigneurie de Liret n’ont pas 10 ans d’existence alors que leurs produits se trouvent déjà sur les tables préférées de la province ! 

Un autre signe ? 
Pinot noir, Pinot meunier, Gamay, Cabernet franc, Dornfelder, Chardonnay, Riesling et Savagnin sont presque courants dans le vignoble. Les débats acrimonieux entre vignerons, dans les années 2000, au sujet de leur emploi, ont laissé place aux discussions constructives. Seul, assemblés entre eux ou avec des hybrides, ils donnent des vins intéressants qu’on ne compare plus à ceux des pays viticoles dont ils sont les ambassadeurs, mais qu’on déguste simplement, avec l’attrait de la découverte, de l’expérience, du test qu’on reconduira; ou non. Tout simplement. 

Enfin, il y a les bulles ! 
Manne internationale, elles ont également piqué nos anciens et jeunes vignerons. Qu’elles soient issues de méthode ancestrale (Pet Nat), de méthode Charmat ou de méthode traditionnelle, qui ne propose pas un vin effervescent aujourd’hui dans le vignoble québécois ? 
Qu’ils en fassent 200 ou 5000 bouteilles, j’ai remarqué une chose : à chaque fois que j’ai visité des vignerons dernièrement, on m’a toujours proposé de goûter au mousseux de la maison, même lorsqu’il n’était pas officiellement établi ! 
Et ce n’est pas parce qu’on attendait Monsieur Bulles, non. 
C’est bien parce que le vignoble du Québec a enfin compris que le vin effervescent est sans doute la catégorie la plus fiable à élaborer, car le résultat est immédiatement positif. Certes long à élaborer, toutefois, instantanément bon à la commercialisation. 

J’ai écrit il y a 15 ans « que de ne pas élaborer de mousseux au Québec serait une erreur professionnelle ». 
Je persiste et prétend aujourd’hui que de ne pas élaborer un bon mousseux au Québec est une faute professionnelle. 
La connaissance actuelle de ce qui fait le vignoble québécois pousse inexorablement au vin effervescent. Et comme les bulles servent à célébrer, je célèbre ici la nouvelle génération de vignerons qui se met actuellement en place au Québec. 
Qu’elle soit issue des parents qui ont défriché la terre pour elle dans les années 1990 ou qu’elle soit novice, uniquement motivée par le goût du produit authentique bien fait, cette génération a la foi en une signature québécoise du vin qui signe un avenir prometteur. 
C’est là l’essentiel.   

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