Il ne suffit pas de savoir goûter pour écrire sur le goût. Le sujet est plutôt tabou. Tabou dans la profession. La profession des testeurs. Des testeurs de vin. Des testeurs de vin qui ont une plume. Une plume officialisée, justifiée, maladroite, opportuniste ou… plagiée.
Officialisée par l’organe de presse, renommé et puissant.
Justifiée par l’apprentissage et le talent. Justifiée par le métier. Le métier de rédacteur.
Maladroite quand le talent est absent; que ce soit le talent de rédacteur ou le talent de dégustateur. Quand les deux talents sont absents, ce n’est plus de la maladresse, c’est de l’insignifiance.
Opportuniste quand la plume est commerciale. C’est aujourd’hui la plus répandue. Et la plus opaque. Les publicités la payent. Elle est donc la plus défendable dans une société capitaliste; ce qui ne signifie pas qu’elle est la plus justifiable.
Plagiée quand la plume est volée, copiée ou détournée. Elle est rare – quoique -, mais elle est la plus dérangeante, la plus violente pour l’auteur, le vrai, l’authentique.
C’est finalement elle qui sème le tabou: la plume dérobée, la plume entachée. Celui qui plagie ne sait ni goûter, ni écrire. Il sait semer le doute. Il provoque, il épie. Et il génère la zizanie.
Le sujet est donc tabou parce qu’en parler, c’est dénoncer.
On dénonce quand la goutte a fait déborder le vase, quand l’indifférence ne suffit plus, quand la frustration cède la place à la colère, quand l’excès est atteint.
Depuis que le vin est devenu mondain, mondain dans la presse au point qu’il y a aujourd’hui une chronique vin dans tous les journaux, dans tous les magazines, qu’ils soient gastronomiques, sportifs, juridiques ou "pipoles", le vin est devenu un vrai sujet.
Un sujet de société.
L’encre a remplacé le vin.
Des sommeliers, des marchands de vin, des cuisiniers ont échangé leur tire-bouchon ou leur spatule pour un crayon.
Est-ce parce qu’ils étaient mauvais dans leur profession ? Pas forcément.
Sont-ils devenus de bons rédacteurs ? Pas forcément non plus.
Toutefois, une nouvelle profession est née: chroniqueur vin.
Il y a 30 ans, le chroniqueur vin était le chroniqueur "politique" ou le chroniqueur "économie"; il était l’amateur de vin de la salle de rédaction à qui le rédacteur en chef confiait la mission d’écrire dix lignes sur le sujet dans la rubrique "plaisirs de vivre".
Le vin s’est démocratisé, mondialisé, socialisé; la page Art de vivre est née, l’encre du vin est devenue officielle. Mais pas le poste, pas celui de chroniqueur de vin.
On a continué de laisser la chronique vin à l’économiste, au politique, au vrai journaliste, en fait.
Toutefois, l’attrait d’une spécialité journalistique était née et des vocations allaient naître. Des spoliations aussi.
Les cahiers Arts de la table ont épaissi les journaux, de nouvelles plumes sont apparues : les plumes du vin et de la gastronomie.
Engendrées dans une société de loisirs, les rubriques vin, gastronomie, décoration, voyage ou famille sont devenues les plus populaires. Donc les plus convoitées sur le marché d’un travail confidentiel, privilégié, niché.
De la plume au vin, du vin à la plume, il n’y a qu’un pas, non ?
On pourrait le penser.
Je ne le pense pas.
Il ne suffit pas de savoir goûter pour écrire sur le goût du vin. Il ne suffit pas non plus de savoir écrire pour s’improviser dans le goût du vin.
Même si, comme le dit l’adage "les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas", quand on décide de parler du goût, de la grande histoire du goût – pas la personnelle, pas sa propre petite histoire – je considère que le goût se discute.
Et pour en discuter, pour lui prêter sa plume, il faut être instruit. Instruit sur le sujet, avoir une base. Et la base du vin quand on écrit à son propos, quelle est-elle ? Non, ce n’est pas la sommellerie. C’est la bonne éducation, le savoir vivre, les bonnes manières. La sommellerie et l’histoire des hommes viennent ensuite.
Quant à la base en rédaction française puisqu’il la faut quand on se dit chroniqueur, elle coule tellement de source que je ne m’étendrai pas sur le sujet.
Je préfère sourire et constater que le métier de rédacteur-correcteur est en hausse dans les salles de presse.
Je suis donc estomaqué quand je lis un reportage sur un vin, une appellation ou un domaine viticole, écrit par quelqu’un qui n’y est jamais allé et qui a seulement fait un "copier/coller/détourner" d’un autre article, écrit par l’authentique auteur qui lui, a foulé les lieux et rencontré le vigneron; je suis toujours en colère quand je devine le style d’un auteur en lisant le commentaire d’un vin qui n’est pas écrit par ce dernier.
Ah, il écrit cela parce qu’il a été copié/collé, vous dites-vous…
Tout à fait. Évidemment.
Mais cela fait des années que certains de mes commentaires sont repris dans des publications, j’en ai fait le deuil depuis longtemps; comme certains de mes collègues, les vrais, ceux qui savent écrire sur le vin et qui se font également voler depuis des années.
Autant le prendre comme une flatterie et se dire que le copieur incompétent ou paresseux a apprécié votre prose puisqu’il se l’est appropriée.
Je n’écris pas ces lignes aujourd’hui pour me plaindre des tricheurs, mais bien pour envoyer un message aux rédactions en chef, à celles et ceux qui délèguent la mission d’écrire sur le vin à une personne dont ils ne connaissent ni le professionnalisme, ni les compétences, ni le talent, ni les valeurs.
Malheureusement, depuis que le web est devenu organe de presse, il y a de plus en plus de tricheurs. C’est la loi du web et j’accepte cette anarchie. Le web est incontrôlable.
Toutefois, il est bien dommage, sinon dangereux, de constater que les salles de rédaction des grands quotidiens sont également infiltrées par des tricheurs, voire les mêmes tricheurs du web.
L’encre a remplacé le vin… et ce dernier est parfois bouchonné.