"Voyons, on ne fait pas de mousseux à Bordeaux…" Combien de fois m’a t-on répondu cela lorsque j’ai tenté de parler du Crémant de Bordeaux. Et oui, du Crémant de Bordeaux, une vraie AOP de bulles! Perdue parmi les prestigieuses appellations bordelaises, celle du crémant est certes bien modeste, mais elle n’en reste pas moins intéressante et de plus en plus appréciée: elle a doublé son volume de production en 2 ans !

45 000 hl produit en 2015 alors qu’elle n’atteignait pas 20 000 hl en 2013 !! 
Comment expliquer un tel phénomène ?

D’abord parce que les vins effervescents sont les plus sollicités par le consommateur depuis le début des années 2000. Il suffit de regarder les chiffres de production mondiale et de vente dans tous les pays, pour constater que la seule catégorie de vin en progression constante est celle des bulles. Donc, même celles qui ne seraient pas issues d’un terroir de "tradition effervescente" ont profité de cet engouement.

Ensuite, Bordeaux a un avantage sur les autres appellations qui font des bulles : son nom. Le terme Bordeaux fait vendre. Il inspire la qualité, l’authenticité, la renommée. Ça rassure d’acheter du Bordeaux. Il y a plus de 25 ans, un sondage avait été fait au Japon où l’on avait demandé à des universitaires des mots qui connotaient la France: Bordeaux, Champagne et Beaujolais étaient sortis parmi les dix premiers. Dois-je m’arrêter ici sur la puissance culturelle du vin français au bout du monde ?

Enfin, il y a la volonté des rares producteurs de la filière bulle de Bordeaux de faire mieux et davantage. Le Crémant de Bordeaux représente 1% de la production totale de Bordeaux. C’est très peu. Elle était de 0,5 % en 2013. Aucune autre appellation ne peut se targuer, pourtant, d’une telle progression de production. 
Alors qu’il y a à peine dix ans, le Champagne était le vin des cocktails des mondanités politiques ou commerciales Bordelaises, le Crémant de Bordeaux a commencé à le remplacer. Bien sûr, le volume de ce dernier ne pourra jamais concurrencer le vin Marnais. Toutefois, ce n’est plus étrange ou anecdotique de consommer du crémant dans les restaurants Girondins. Le produit est bon, bien meilleur que dans les années 1990, décennie de sa création officielle. Le succès d’un vin auprès du public arrive toujours des coulisses de la restauration…

Seulement sept élaborateurs bordelais se partagent la production à l’heure actuelle, même s’il y a plus de 140 opérateurs. Il y a presque 700 hectares de vignes dédiés au crémant, répartis sur l’appellation Bordeaux. Si le sémillon est très apprécié pour son élaboration, 14 autres cépages sont autorisés dans le cahier des charges qui, à quelques exceptions près, est le même que celui des autres crémants français. Des exceptions par ailleurs d’importance comme le rendement à l’hectare de 75 hl/ha – bien plus bas que celui d’Alsace (ou de Champagne) -, les conditions de prise de mousse ou celles de dégustations de contrôle qualitatif. 
Bref, des mesures acceptées de façon collégiale pour assurer un avenir prometteur. Un quart de la production de Crémant de Bordeaux est vendu hors de France. C’est une bonne proportion considérant le volume produit, puisqu’il faut d’abord que les vignerons fassent connaître leurs bulles sur le marché hexagonal, avant de s’attaquer à la planète vin. 

Le souci du Crémant de Bordeaux est le même que celui des autres crémants: sa valorisation. Elle doit passer par un prix de vente au détail crédible, c’est-à-dire – selon moi – plus élevé que celui pratiqué actuellement ! 
Le consommateur français paye en moyenne 5 euros sa bouteille de crémant en grande distribution. Lorsqu’on connaît le prix au kilo du chardonnay à Limoux, celui du chenin dans la Loire ou le prix du tonneau à Bordeaux, on peut se demander comment un vigneron qui élabore du crémant peut s’en sortir décemment après les vendanges obligatoirement manuelles, donc coûteuses, et les opérations subséquentes avant la pose du muselet. 
Si vous passez par la France, faites vos courses dans un supermarché pour y apprécier les tarifs des vins. Des opérations promotionnelles sont régulièrement offertes par les supermarchés français et concernant les bulles, il n’y a pas une semaine sans qu’une appellation soit alléchante. Attireront-elles de nouveaux consommateurs vers le Crémant de Bordeaux ? Ponctuellement oui.  Dévaloriseront-elles l’authenticité du Crémant de Bordeaux ? Assurément oui.

Je risque de faire grincer des dents, mais finalement, le prix de vente moyen le plus décent du Crémant de Bordeaux est affiché au Québec ! À la SAQ ! Il est de 22 $ ! (environ 15 euros). 
Une fois analysées et retirées les différentes marges qui rémunèrent les intermédiaires du système québécois, on peut considérer que c’est comme si le même crémant était vendu 10 euros en France. 
Voilà le digne prix pour un bon crémant. 
Et bien savez-vous quoi ? C’est du champagne que j’ai vu affiché à ce tarif, dans la grande distribution, en France.
C’est donc bien toute la filière "bulles" de l’hexagone qui doit se remettre en question…

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