La production de vins effervescents espagnols concerne majoritairement ce qu’on appelle le Cava, un vin effervescent d’origine catalane, toujours élaboré selon la méthode traditionnelle.

Environ 33 000 ha sont consacrés au Cava en Catalogne, en Rioja, en Aragon et autour de Valence et de Badajoz (160 municipalités élaborent du Cava en Catalogne, soit 95 % de la production totale de vins effervescents en Espagne). Près de 7000 viticulteurs et 272 caves élaborent du Cava en Espagne.

Son origine remonte au milieu du XIXe siècle dans le Pénédès. Même si les premières expérimentations de création d’effervescence en bouteille semblent avoir été faites par Luis Justo Vilanueva (Bodega Mont-Ferrant) vers 1860, les premières cuvées commerciales ont été créées par Josep Raventos Fatjo. La popularité du champagne incita en effet ce dernier, descendant direct de Miquel Raventos qui avait bâti son domaine viticole au milieu du XVIe siècle, à élaborer des vins effervescents à partir des cépages autochtones et selon la méthode des vignerons de l’Argonne. Il prit le nom de Jaume Codorniu – dont l’une des filles avait épousé Miquel Raventos en 1659 – pour établir en 1872 son domaine, consacré uniquement aux vins mousseux.

Le vin mousseux espagnol devint réellement industriel après la Seconde Guerre mondiale.

En raison des protestations des Champenois, désireux de protéger le nom de leur vin et leur méthode de vinification, l’État espagnol créa en 1972 un conseil régulateur des vins mousseux. Il déposa officiellement l’appellation Cava, déjà utilisée pour les vins effervescents provenant de toutes les régions d’Espagne.

Le terme cava était employé car il signifiait l’élevage du vin sous terre et le respect de la prise de mousse de façon naturelle, en bouteille. Cependant, parce qu’aucune délimitation régionale ne fut précisée, un débat sur le respect des origines viticoles eut lieu 15 ans plus tard, lorsque l’Espagne fit son entrée dans la communauté européenne. Considérant que certains pays européens ne respectaient pas certaines appellations de vins ibériques, les instances espagnoles décidèrent d’une délimitation régionale originale : le Cava serait pour 95 % catalan, mais des municipalités hors de la Catalogne obtiendraient le droit de mentionner l’appellation sur leur vin mousseux.

Ainsi, plusieurs provinces espagnoles non catalanes ont élaboré du Cava jusqu’en 1993, année où fut créé le Conseil régulateur du Cava (Consejo Regulador del Cava) qui détermina sept zones hors de la Catalogne pouvant élaborer du Cava.

La carte du Cava

Considérant ce point, le Cava n’est donc pas une appellation de lieu, mais d’élaboration, ce qui a entraîné quelques dérives que certains producteurs n’ont pas accepté.

En 2010, la famille Raventos décida de quitter l’appellation (don elle a été la créatrice à la fin du 19ème siècle !) pour élaborer ses vins effervescents sous le terme Vin Mousseux de Qualité (Vi Escumós de Qualitat) en précisant sur ses étiquettes son origine géographique Conca del Riu Anoia. Cette sortie entraîna trois ans plus tard la création de l’appellation Classic Pénédès et cinq ans plus tard, celle de la sous-catégorie Corpinnat, d’abord au sein de la DO Cava, puis rejetée par ses instances.

Cette même année, en 2017, fut instauré un nouveau cahier des charges pour la DO Cava, règlementant une nomenclature d’élevage des vins (paratge), visant une hiérarchie de qualité (Reserva, Gran Reserva, Reserva de Paraje Calificado).

La Catalogne

Cava DO

Le Pénedès, où le calcaire prédomine au sein des variétés des sols, est la première appellation catalane productrice de Cava. La plupart des producteurs sont établis à San Sadurni d’Anoia et à Villafranca del Pénedès. Le raisin peut provenir de plusieurs communes catalanes.

Les principaux cépages sont le macabéo qui apporte le fruit et la douceur, le parellada qui apporte la souplesse et la fraîcheur, et le xarel-lo qui apporte la structure. Le chardonnay, le subirat parent, le chenin blanc et la malvoisie de Rioja sont également autorisés. Parmi les cépages rouges, on emploie le grenache, le monastrell (mourvèdre), le pinot noir, le trépat, le tempranillo et le merlot.

Le rendement maximum est de 100 hl/ha. Le Cava est toujours élaboré par seconde fermentation en bouteille (méthode traditionnelle). Les raisins sont récoltés mécaniquement ou manuellement et entiers. Si le raisin est destiné à être vinifié en blanc, il doit être mis entier dans le pressoir (150 kg de raisins pour l’obtention de 100 litres de vin).

Les autres régions : Cava, vino espumoso (mousseux) et vino con aguja (pétillant).

Parmi les autres appellations autorisées à élaborer du vin effervescent en mentionnant le terme Cava, Utiel Requena y consacre 300 ha pour offrir 700 000 à 850 000 bouteilles, la région de Valence consacre 20 ha pour offrir 100 000 à 120 000 bouteilles, la région de Castille La Mancha élabore 100 000 bouteilles et enfin, l’appellation Rueda en Castille Y Leon élabore 75 000 à 150 000 bouteilles.

Les autres vins effervescents porteront les mentions vino espumoso ou vino con aguja.

Un mini cataclysme administratif s’est abattu en Catalogne en 2019 : 9 vignerons de renom ont quitté l’appellation DO Cava.

Cela signifie qu’ils n’associeront plus leur nom à une bouteille de Cava, vin effervescent espagnol, mondialement célébré.

Est-ce que cela va bouleverser la vie du consommateur profane de vin ? Aucunement.

Est-ce que cela va bouleverser l’industrie viticole espagnole ? Certainement.

C’est un peu comme le jeu des dominos alignés : on pousse le premier de la ligne qui entraîne dans sa chute tous ceux qui sont devant lui. Parfois, parce que l’alignement a été mal établi, la chute progressive s’arrête, laissant des dominos debouts. Cava et Corpinnat, c’est le jeu des dominos.

Corpinnat
Que veut dire Corpinnat ?

Corpinnat (contraction catalane de « nescut al cor del Penedes » = Cor-Pinnat = Né au coeur du Pénédès) est la marque d’une association de 6 vignerons renommés (Associació d’Elaboradors i Viticultors Corpinnat / AVEC) de Catalogne – aujourd’hui 9 vignerons – enregistrée en 2017, lancée en 2018, dans le but de valoriser un vin effervescent, véritablement catalan.

On y trouve à ce jour, les domaines Recaredo, Gramona, Nadal, Sabaté i Coca, Llopart, Can Feixes, Julia Bernet, Mas Candi et Torelló.

Pourquoi une valorisation ? 

Simplement parce que les administrateurs de la DO Cava n’ont pas su, à temps, faire évoluer leur cahier des charges et niveler par le haut, en tenant compte des avis de leurs meilleurs adhérents vignerons.
Les alertes à l’interne, administratives et viticulturelles, avaient été envoyées. Rien n’a bougé dans le bon sens.
Associée à des prix dérisoires (4 euros en moyenne la bouteille de cava), l’appellation a été discréditée, malgré les efforts de qualité d’une poignée de familles, dont certaines ont d’ailleurs préféré joindre les rangs de l’appellation Classic Pénédès, créée en 2013.

Des lanceurs d’alerte non écoutés.

La sortie de la famille Raventos de la DO Cava en 2010 a été l’étincelle d’un feu assez lent à prendre, mais qui aujourd’hui, continue de gêner la région.
La création de Corpinnat a été la conséquence logique du laxisme de la DO Cava; Les deux entités ont vécu ensemble quelques mois, cependant, elles ne parlaient plus la même langue. La mention Corpinnat souhaitée par ses initiateurs sur des étiquettes de DO Cava était une revendication d’excellence et d’autonomie. Le message envoyé au consommateur aurait été clair : si vous lisez Corpinnat sur une bouteille de cava, c’est qu’il est excellent. Si Corpinnat n’apparaît pas sur l’étiquette, vous achetez des bulles anodines.
Le divorce était prévisible.
On parle de sortie de Corpinnat de la DO Cava, mais y a t-il eu réellement une entrée ?
Car d’un point de vue commercial, les effets de Corpinnat sur le marché des DO Cava ont été pratiquement nuls.
Ce n’est pas une sortie.
C’est l’annonce officieuse d’une nouvelle appellation vinique, au coeur d’un terroir ancestral.
Elle témoigne des enjeux économiques et politiques dans le secteur agricole local et elle confirme les limites bureaucratiques du système des appellations en Europe.

Le règlement Corpinnat résumé 

Corpinnat a été créé en vue de simplifier une démarche tout en la précisant. C’est en fait un mousseux européen «Vi Escumós de Qualitat» (VMQ / Vin Mousseux de Qualité) que n’importe quel vigneron a le droit d’élaborer sous certaines conditions : Seulement 46 villages appartenant à la région de l’Alt Penedès, du Baix Penedès, de l’Alt Camp, d’Anoia et du Baix Llobregat peuvent faire du Corpinnat (ce qui représente 22 000 ha).

Le vigneron utilise ses propres raisins (il est propriétaire des parcelles), récoltés manuellement, issus de la viticulture biologique, spécifiques à la région historique du Pénédès (Xarel·lo, Macabeu, Parellada, Malvasia en blanc / Grenache, Monastrell, Sumoll et Xarel·lo Vermell en rouge) dans le but d’élaborer son propre vin tranquille et de le transformer en vin effervescent par seconde fermentation en bouteille, chez lui, et de l’élever au moins 18 mois sur lattes (9 mois pour le Cava).
Il lui est strictement interdit d’élaborer des bulles pour un autre (1/3 de la production du cava n’est pas élaboré par la marque qui est sur l’étiquette).
Aussi, Corpinnat a instauré une valorisation du prix au kg du raisin, vendu dans le Pénédès, avec un minimum de 0,70 euros / kg, ce qui représente le double du tarif des raisins, employés sur la DO Cava.
Enfin et c’est, selon moi, le point névralgique de ce dossier : Corpinnat est une appellation de lieu, alors que la DO Cava est une appellation d’élaboration. Si cette dernière avait été une appellation comme celle du champagne ou du franciacorta, la situation serait ô combien différente.
La situation actuelle de la DO Cava. 
Globalement, 240 millions de bouteilles sont produites annuellement et commercialisées sous la DO Cava, dont 80 % est contrôlé par trois marques, qui s’échangent la direction de l’appellation périodiquement : Freixenet, Codorníu et García Carrión.
Même si les derniers chiffres commerciaux de la DO Cava sont flatteurs, le règlement de Corpinnat empêche logiquement la plupart des acteurs de l’appellation de se joindre aux neuf vignerons.
Certes, la création du Cava de Paratge au sein de la DO Cava, en 2017, aurait pu freiner le mouvement séparatiste, mais il était trop tard. Recaredo et Gramona réfléchissaient déjà, suite à la sortie de Raventos I Blanc, a une solution bienveillante et restructurante. De plus, l’instauration des Paratge a été quelque peu baclée, rapidement pensée pour éteindre un feu déjà trop important, comme si on avait placé la charrue avant les boeufs : on a élevé au rang de références une quinzaine de lieux-dits dont les cavas qui en seraient issus, seraient élaborés avec plus de soin que tous les autres.
Ce qui revient à dire qu’en-dehors des Cava de Paratge, le terroir et la qualité sont absents. De plus, en considérant les qualités d’un domaine hors de Catalogne, autorisé à faire du Cava, il pourrait revendiquer le terme Paratge, ce qui rend presque caduque l’essence de ce dernier.
L’avenir de Corpinnat. 
Si les instaurateurs ont proposé le nom Corpinnat comme une appellation de terroir avec des limites géographiques définies, sur le modèle d’une AOC régionale, qui permettra de faire évoluer son cahier des charges, le point qui m’apparaît délicat pour une reconnaissance publique future est tout simplement le nom : Corpinnat.À moins de parler le catalan – et encore -, ce nom ne dit strictement rien à personne, car il n’existe pas ! Ce n’est pas une parcelle, ce n’est pas un lieu-dit, ce n’est pas un village, ce n’est pas une région.
Cherchez le sur une carte du Pénédès, vous ne le trouverez pas.
Or, donner le nom d’un lieu à un vin, l’ancre immédiatement dans le subconscient populaire, facilite sa reconnaissance et construit progressivement sa renommée parce que le consommateur y trouve facilement un repère.
En revendiquant Conca del Riu Anoia en 2010, la famille Raventos ne s’est pas trompée sur ce point, même si elle attend toujours la reconnaissance officielle de ce lieu en tant qu’appellation vinique…
A moins donc, que Corpinnat ne devienne une nouvelle entité géographique validée par les instances politiques espagnoles, les vignerons qui l’incarneront ont davantage un travail de marketing à faire aujourd’hui, qu’un travail de vigneron, car de ce côté là, nous savons déjà qu’ils font effectivement les meilleurs vins effervescents d’Espagne.