HISTORIQUE DES CATÉGORIES

En ce qui concerne le vin effervescent, les champenois ayant été les premiers à mettre en place un vrai système de commercialisation de leur vin lorsque son effervescence fut garantie – après le Premier empire -, les cuvées de champagne qui étaient envoyées aux clients, avaient un taux de sucre déterminé à la commande par ces derniers.

C’est pourquoi pendant presque un siècle (19ème), le champagne et les saveurs qui lui correspondaient – son goût – étaient vendus sous le nom du pays destinataire.

Ainsi, on parlait du goût russe, du goût allemand, du goût anglais, du goût français et du goût américain. Rien n’avait été officiellement enregistré, toutefois, les maisons de Champagne savaient, par exemple, que leurs vins qui partaient pour la Russie, devaient être excessivement dosés avant l’obturation des bouteilles, car l’aristocratie locale désirait des bulles très sucrées.

Un marché de sucre se dessina progressivement dans lequel le goût anglais était le plus sec (le moins de sucre possible) et le goût russe était le plus édulcoré.

Certes, l’étape du dosage et la précision du sucrage furent imprécises pendant des décennies, toutefois, selon les registres de certaines maisons, nous savons que certains champagnes pouvaient contenir plus de 180 gr de sucre résiduel !

Les Britanniques, amateurs de vins secs, désiraient toujours du champagne moins sucré. Même si des expériences de champagnes « dry » avaient été tentés autour de 1850, les premiers champagnes expédiés comme tel, le furent par la maison Ayala en 1870, à la cour d’Edouard VII, converti par son entourage.

Durant toute la première moitié du 19ème siècle, les champagnes étaient donc commercialisés avec deux mentions prioritaires, sous le nom de la maison qui l’élaborait ou sous celui de l’agent qui le représentait : celle du village d’où il était issu et celle de sa catégorie de sucre, au vocable propre à cette dernière.

Ces mentions étaient peintes en blanc sur la bouteille. Les sceaux d’identité à la cire, puis des vignettes et enfin les premières étiquettes vont apparaître vers 1820.

Sec, dry, extra dry, very dry, medium dry, full, rich, medium rich, mousseux, demi-mousse, crémeux, crémant, perlant, Aÿ, Ambonnay, Bouzy, Hautvillers, Vertus, Cramant, Châlons, Épernay, Reims étaient les termes les plus récurrents sur les flacons.

Certaines maisons qui développèrent plusieurs catégories de sucre, mirent en place leur solution de référence par des couleurs. On parlait donc de carte bleue, de carte rose, de carte verte, de carte noire, etc…

 

LA TENEUR EN SUCRE DES DIFFÉRENTS TYPES DE MOUSSEUX (méthode traditionnelle, Charmat / Martinotti, VMQ)

Après la tendance du champagne rosé dans les années 2000, la décennie 2010 a marqué la création de cuvées dites extra brut, c’est-à-dire non dosées ou très faiblement dosées en liqueur d’expédition, soit moins de 6 grammes de sucre par litre (notez que lorsqu’un champagne a moins de 3 g de sucre par litre, on peut utiliser les mentions « brut nature », « pas dosé » ou « dosage zéro »).

Cette catégorie a longtemps été une niche pour les petites maisons de champagne ou les vignerons indépendants. Elle permettait de diversifier leur gamme de cuvées et elle laissait au chef de cave ou au vigneron élaborateur le loisir de s’amuser à des expériences œnologiques, quand le cycle végétatif d’une année s’était montré favorable et que la récolte avait été bonne.

Nécessitant un taux élevé de sucre naturel et une acidité adéquate, en somme une maturité exemplaire des raisins, les bons flacons d’extra brut proviennent souvent de la Côte des Bar ou des secteurs de la Marne, confortablement exposés au soleil. Souvent destinées aux connaisseurs et aux « chineurs » de champagnes, ces cuvées très pures connaissent actuellement un engouement, un gain de popularité. Il ne faut donc pas s’étonner si, dans la décennie 2010, certaines marques ont sorti des cuvées extra brut à coups – et à coût ! – de grand renfort publicitaire.

La Champagne influençant les bulles du monde entier, on a vu dans la même décennie s’afficher le terme Extra-Brut, Non dosé, Pas dosé ou Nature sur bien des étiquettes de mousseux élaborés hors de la Communauté Européenne.

Quant aux régions européennes élaboratrices de mousseux d’appellation, certaines ont accru la production de cette catégorie de sucre minime (Franciacorta, Trento, Cava, Limoux, Jura, Alsace)

La réglementation européenne en matière de dosage des vins mousseux et du champagne, discrètement diffusée auprès des vignerons en 2010, a peut-être été également un signe de cette tendance.

En 2010 en effet, les catégories extra brut, brut, extra dry, sec, demi-sec et doux ont été révisées en ce qui concerne tous les vins effervescents (champagne compris) de l’Union européenne.

Quant aux pays hors CEE et du « Nouveau Monde », ils ont chacun leur propre règlement en matière de vins effervescents. Conséquemment, certains pays abusent de la mention extra brut, qui est très à la mode en restauration, alors que le dosage de leur vin dépasse les huit grammes de sucre par litre. L’Argentine viticole, par exemple, présente de nombreux mousseux affichant Extra-Brut, alors que leur taux de sucre tourne autour de 10 grammes !

La réglementation 2010 n’a pas touché pas la catégorie extra brut, mais elle a resitué plus clairement et logiquement la hiérarchie.

Pendant des années, sur les six catégories autorisées, quatre se chevauchaient, permettant aux maisons de commercialiser finalement celle dont l’impact culturel était le plus efficace. Désormais, le champagne et les mousseux européens ont six catégories promptement définies et pour mieux les expliquer, rien de mieux que de comparer l’avant et l’après.

Les catégories et leur teneur en sucre avant 2010 :

  • extra brut : entre 0 et 6 g/l
  • brut : moins de 15 g/l
  • extra dry : entre 12 et 20 g/l
  • sec: entre 17 et 35 g/l
  • demi-sec : entre 33 et 50 g/l
  • doux : plus de 50 g/l

Les catégories et leur teneur en sucre depuis 2010 :

  • extra brut : entre 0 et 5 g/l
  • brut : moins de 12 g/l
  • extra dry : entre 12 et 17 g/l
  • sec: entre 17 et 32 g/l
  • demi-sec : entre 32 et 50 g/l
  • doux : plus de 50 g/l

Une faiblesse administrative endigue toutefois cette réglementation. On peut lire, en effet, au 3e point de l’article 58 de l’annexe XIV* à propos de la teneur en sucre: «Sans préjudice des conditions d’utilisation décrites à l’annexe XIV, partie A, la teneur en sucre ne peut être ni supérieure ni inférieure de plus de trois grammes par litre à l’indication figurant sur l’étiquette du produit.»

Ce nouvel alinéa (inexistant dans le précédent règlement) donne donc une variabilité possible de 3 g/l.

En clair, 12 g/l + 3 g/l = 15 g/l, de sorte qu’un champagne ainsi dosé peut toujours porter la mention brut, alors que c’est un extra-dry. Et ainsi de suite avec les autres catégories…

De même, 4 g/l +3 g/l = 7 g/l, ce qui veut dire qu’un champagne dit extra brut peut être dosé à 7 g/l. Il pourra aussi afficher Brut, puisque cette catégorie précise « inférieur à 12 g/l ».

Bref, comme il y a plus d’un siècle où le sucre était le vecteur des marchés destinataires de champagnes, sa réglementation est toujours aussi contrariante…

*Journal officiel de l’Union Européenne, Annexe XIV, CE 607-2009, Commission du 14 juillet 2009.