« C’est infect, on dirait du vinaigre ! ». Voilà le genre de réflexion qu’on pouvait entendre il y a 20 ans dans les dégustations de vins du Québec. L’acidité a toujours été le talon d’Achille de ces derniers. Agressive, elle gêne l’appréciation de la texture, occulte les arômes des cépages employés et casse la vinosité.

La lumière est présente dans le vignoble de la belle province, toutefois le soleil discret et sa chaleur relative ou mal distribuée au cours du cycle végétatif d’un cépage – pourtant sélectionné – ne permet pas un équilibre des caractéristiques gustatives attendues dans un vin jeune.

Jeune en effet, car après une dizaine d’années, les vins québécois, grâce au temps qui les a habillés, deviennent incroyablement charmeurs… Mais qui le sait ?

Le problème avec les premiers vignobles implantés au Québec (avant 2000) est qu’une grande majorité de leurs propriétaires n’ont pas conservé de lots de chaque millésime élaboré.
Conscients que leurs premiers millésimes étaient médiocres – disons la vérité -, ils se sont débarrassés des invendus; et les derniers millésimes, globalement meilleurs, ont tous été vendus, car la trésorerie a préséance sur le patrimoine…

Bref, pour goûter les effets « bonificateurs » du temps sur un vin du Québec, il faut l’avoir acheté et oublié chez soi, dans sa cave, pour mieux le ressortir… cinq, dix, voire quinze ans après le millésime affiché.

Parfois, en insistant auprès du vigneron visité, il vous sort un ou deux vieux millésimes d’une cuvée – supposément la plus réussie – et vous la sert en se protégeant souvent ainsi : « on démarrait, on ne savait pas trop où on voulait aller, on écoutait les pépiniéristes pour le choix des cépages, soyez indulgent… ».
En fait, quel que soit le choix du cépage blanc ou noir, quel que soit la méthode de vinification et quelle que soit celle de l’élevage, tous les vins du Québec viticole d’alors avaient un point commun : ils mordaient ! Leur attaque en bouche était agressive, enrayant la moindre qualité repérée et freinant aussi l’envie d’en reprendre.

Pendant des années (« je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… »), on a acheté du vin québécois pour encourager les vignerons, pour leur éviter le dépôt de bilan; pas parce que le vin était bon : parce que c’était une curiosité !

Et comme la production provinciale était minime, l’achat de trois à six bouteilles par oenotouriste, a permis la survie de la plupart des premiers vignobles enregistrés… Ça, c’était avant que la Société des Alcools du Québec (SAQ) ne propose le vin québécois sur ses tablettes (80% de la production provinciale n’y était pas avant 2013).
Ce ne sont pas les profits envisagés qui ont incité ces pionniers à poursuivre l’entreprise; c’est la passion, l’orgueil et la certitude que leurs efforts allaient payer. Ils ont eu raison.

Aujourd’hui, les jeunes vignobles qui n’ont pas vingt ans s’en sortent mieux tout de suite. Logique.

Et ils conservent quelques lots de leurs premiers millésimes !

Ils ont appris de leurs aînés défricheurs à tous les niveaux, depuis la vigne jusqu’à la commercialisation, en passant par des investissements de cuverie moins hasardeux.
Certes, les réseaux sociaux et une SAQ accueillante à l’époque de leur naissance ont été des rampes de lancement essentielles, voire déterminantes, que n’ont pas eues les anciens…

Puis, il y a un an, Covid 19 !

Partout dans le monde, de façon plus significative au Québec, le consommateur de vin se tourne vers le vignoble local. On consomme patriotique !

Conjugué à des mises en place d’accueils oenotouristiques solides, à une campagne publicitaire originale, à une collaboration très « fleurdelysée » du monopole et, l’essentiel, à des vins éprouvés et désirés parce que les cépages du Québec sont devenus classiques, donc identifiables, le vignoble provincial en 2020 est entré dans une nouvelle ère, celle de la reconnaissance populaire.

Les chiffres ont explosé, l’été 2020 a marqué et rassuré les vignerons du Québec qui n’ont jamais autant vendu leurs vins, aussi rapidement. En SAQ certes, mais surtout, au domaine.

Plusieurs d’entre eux m’ont confié : « on a vendu à des visiteurs qu’on n’avait jamais vu, qui ne s’étaient jamais arrêtés au vignoble et qui en repartaient en nous disant qu’ils reviendraient. Et on les a vu revenir même pas 3 semaines plus tard ! »

Il aura fallu la frousse d’un danger invisible liée à des mesures gouvernementales pour que la reconnaissance populaire du vignoble du Québec soit tangible et pérenne.

Mais revenons pour finir aux vins jeunes qui mordent. Parce qu’en fait, aujourd’hui, ils ne mordent plus.

Depuis une dizaine d’années, les blancs comme les rouges de la province n’agressent plus les papilles à la première gorgée.

Ils titillent, ils réveillent, et finalement, ils donnent envie d’en reprendre ! Pas par curiosité, par attrait.

L’été dernier – ce déjà fameux été 2020 -, dans le cadre de l’émission de radio Monsieur Bulles & Cie, je suis allé goûter avec ma collègue Michelle Bouffard, les derniers millésimes du Domaine du Ridge qu’on peut considérer comme un ancien vignoble de la province puisqu’il fête ses 25 ans cette année.

Accueil sympathique, lunch sympathique, vins sympathiques, entrevue sympathique et…

« Vous n’avez pas, par hasard, de vieux millésimes à faire goûter ? »

« Il nous reste peut-être des 2010 en rosé, 4 ou 5 bouteilles du Champs de Florence. Mais, on n’a rien gardé. Vous êtes sûr de vouloir y goûter ? Ils ont 10 ans ! »

« Sûr oui. On adore les vieux millésimes du Québec, surtout les blancs. Même les vignerons n’en ont plus. »

« Ben c’est normal, le niveau d’acidité était tel qu’on se demandait ce que cela allait devenir. On préférait tout vendre quand on le pouvait. »

« Ben vous savez quoi ? Il est venu le temps de penser à mettre quelques lots de chacune de vos cuvées de côté, pendant quelques années. Pas seulement pour raconter l’histoire de votre vignoble. Pas seulement pour s’offrir une verticale un jour… Seulement parce que cela vaut le coup, parce que le vin du Québec a un potentiel de garde désormais, et qu’il va falloir en parler. »

La vidéo de cette rencontre est ICI

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