En pleine promotion du livre « Couleur Champagne », j’étais invité en 2007 à la table d’un restaurant montréalais dont je considère la cave comme ayant été la plus impressionnante au Canada : Les Chenets, alors tenu par feu Michel Gillet. L’un des convives me pressa de choisir un seul vin pouvant convenir aux mets des quatre personnes attablées que nous formions. Le piège était évident puisque saumon, lieu, cerf et caribou allaient être de la partie dans chaque assiette séparée ! Je déroutai les convives en choisissant un Champagne. Mais quel Champagne !

Unique, rare et magique comme l’instant qui allait suivre cette sélection qu’intimement je redoutais tout de même… 
Sceptique à cause du tarif curieusement bas de la bouteille, je mis en doute le millésime qui s’offrait et je demandai au sommelier d’aller le vérifier.
L’année de récolte confirmée, je sus alors que la soirée allait être mémorable parce que j’allais partager l’une de mes cuvées de Champagne préférées – issue d’un millésime que je n’avais jamais goûté – et prouver que les plus grandes d’entre elles épaulent, titillent, voire dépassent les 1ers crus Bourguignons blancs, dits de longue garde. 
De couleur vieil or avec des reflets de couleur ambre pâle, la robe portait son âge. Le train de bulles était étonnement vif, de véritables perles fines gagnaient une couronne de mousse en formation, disparate, toutefois abondante. Nous étions déjà tous subjugués, car il est vrai que nous attendions davantage un frizzante qu’un spumante…
Sachant que la bouteille avait été conservée dans des conditions exemplaires, j’avais demandé au serveur de ne pas la plonger dans un seau glacé, mais de nous la servir à température de sortie de cave, soit autour de 12 degrés. 
Discret et fin au nez, tout le monde perçut d’abord des notes d’orangettes, de moka puis, à l’aération, un peu d’effluves de champignons (morilles) se laissèrent capturer. Aucune note oxydative ! Et pas de bouchonnage.
J’avais gagné ! 
J’étais comme un enfant qui apporte son carnet scolaire qui n’aligne que des 100 %, à ses parents ! Je savais mes hôtes conquis et conscients de l’instant vécu. 
À la fois gras et tendu, ­­­« mon » champagne avait gardé une fraîcheur en bouche que personne n’aurait pu soupçonner.
Les bulles étaient extrêmes, fines, tapissant nos papilles qui généraient une crème onctueusement parfumée de miel et de noisettes. 
Un long silence parcourut la table, un silence élogieux; et éloquent ! 
Chacun appréciait sans rien dire parce qu’il n’y avait rien à dire. Ce panier de noisettes et de pralines belges accompagna nos assiettes dans des harmonies culinaires, certes audacieuses pour certaines, toutefois réussies… 
Et même une heure plus tard, l’effervescence était toujours présente dans nos verres et dans la bouteille ! Ce champagne avait 28 ans !
Tellement ébahi et enchanté, je racontai l’histoire de la vie rocambolesque de Charles-Camille Heidsieck et nous portâmes un toast à feu Daniel Thibault (2002), oenologue et père de cette cuvée. 
À chaque gorgée appréciée, ce fut pour moi comme pour les convives, des instants inoubliables. 
Et je sais avoir converti l’un de mes voisins, au grand champagne… à table. 

J’ai été très fier de leur faire découvrir ce soir-là, le Champagne Charlie 1979 de la maison de Champagne Charles Heidsieck !

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