Aucune preuve concrète n’indique que l’homme de Cro-Magnon, premier homo-sapiens (30 000 av JC), a reconnu les qualités du froid pour la garde des aliments. Cependant, les endroits dans lesquels il vécut, qui sont des grottes creusées par l’érosion des eaux et non des caves creusées par lui-même, ont certainement été, aussi, les premiers espaces pensés en tant que garde-manger.

Nous savons que ces grottes étaient utilisées en période froide alors qu’aux périodes plus chaudes, les habitations étaient à ciel ouvert, près de courants d’eau, construites à partir de défenses, de cages thoraciques, d’os divers et de peaux de gros mammifères.

Peintures rupestres et vestiges nous apportent les preuves des premiers contenants de garde et il est certain que les grottes étaient des lieux de conservation d’aliments en saisons chaudes.

Certes le vin n’existe pas, l’alcool non plus, évidemment; du moins, nous n’en avons aucune trace ! L’alcool acquis n’existe pas, mais l’alcool inné ?

En laissant des fruits pourrir, donc fermenter, des levures et de l’alcool apparaissent forcément.

Laissons-nous le plaisir alors, d’imaginer que notre ancêtre le plus direct prît conscience de ce phénomène et de son résultat, qu’il prît goût à celui-ci, qu’il tenta de l’apprivoiser pour enfin, essayer de le conserver au mieux, dans ses grottes, pour ses soirées d’hiver !

La première cave de conservation d’alcool aurait pu naître ainsi…

L’ancêtre de la cave : le qvévri.

Sautons à présent 25 000 années environ dans le futur et plaçons-nous en Europe orientale, au Proche Orient – la Mésopotamie d’alors – ainsi qu’en Égypte. S’il est aujourd’hui prouvé par la méthode du carbone 14 que c’est à l’âge de pierre, dans la région du Caucase, que la culture de la vigne a débuté, rien ne prouve que l’homme de cette période a cherché à conserver le produit de la transformation du raisin en jus.

Cette nécessité nous apparaît évidente aujourd’hui, ne serait-ce qu’en pensant à l’instinct de survie, cependant, aucune trace concrète n’est parvenue jusqu’à notre époque. Grâce aux fouilles qui ont mis au jour des réceptacles (cuves, amphores, jarres, pots ou vasques) dont certains contenaient encore des céréales, et grâce à la découverte de stèles et de tablettes votives, nous savons que les Sumériens, les Akkadiens, les Hittites ou les Babyloniens connaissaient le principe de fermentation, même s’ils ne l’expliquaient pas.

C’est surtout la bière (d’alors) – qui était davantage consommer que le vin (d’alors) – que l’on cherchait à produire, puis à conserver à l’abri de la chaleur et de la lumière. En effet, ces deux boissons, plus pâteuses que liquides, étaient surtout considérées comme des offrandes et associées aux rites religieux.

Aussi, pour l’une comme pour l’autre, parce que leurs textures et leurs saveurs étaient instables, on y ajoutait toujours du sel, du miel ou des épices aux caractères précis, selon la divinité qui était louée. Les caves d’alors n’étaient pas des espaces, mais bien les larges contenants aux formes et aux volumes variés, propre à chaque culture, qu’on enterrait dans la terre ou le sable, à l’extérieur ou l’intérieur des logements, et qu’on couvrait de peaux, de bois ou de fibres tressés.

Le qvevri est sans doute le contenant qui a l’histoire la plus ancienne en matière de rôle de conservation puisqu’il est toujours employé en Géorgie. Gigantesque citerne de terre cuite, ses parois internes étaient badigeonnées de miel, tandis que les externes l’étaient à la chaux afin de garder une température constante. Dolia, jarre ou amphore lui succéderont dans un volume plus modeste puisque certains sites archéologiques nous ont laissé la trace de qvevris pouvant contenir jusqu’à 15 000 litres !

Une conservation avec échéance dès la Grèce antique.

C’est essentiellement de la seconde moitié du premier millénaire avant JC que des vestiges tangibles en matière de viticulture et de viniculture nous sont rapportés. Le cycle végétatif de la vigne ne permettant évidemment qu’une seule récolte à une période donnée, les Phéniciens et les Grecs ne prévoyaient la garde du vin que pour une durée d’un an.

Les vins étaient déposés dans des jarres de conservation dans lesquelles on puisait régulièrement la mesure souhaitée, qu’on déversait dans une amphore ou une outre. Cependant, pour certaines cuvées, les Grecs enfermaient directement le raisin surmûris dans de petits pots, à même le cep. Le jus qui en était tiré servait d’appoint aux vins trop légers ou composait un vin supérieur qu’on versait dans des amphores plus luxueuses, mais non bonificatrices, destinées aux divinités ou à des élites sociales. En introduisant la viticulture à Marseille, donc en Gaule, au 6ème siècle avant JC, les phocéens inaugureront la réelle commercialisation du vin vers l’extérieur du pays. Mais ce sont des vestiges romains entre le 1er siècle et le 4ème siècle après JC qui nous assurent des productions techniques évoluées du vin.

Les premières caves réelles de garde.

Les villas romaines luxueuses construites sur des terres à vignes et à oliviers étaient souvent dotées de chais avec fouloirs, pressoirs à vis, cuves à escaliers et celliers. Les Romains aimaient exposer au soleil, sur des claies, les grappes durant quelques jours après la récolte, pour ensuite entreposer les baies pressées, au grenier ! Les premiers celliers à vins, dits d’élevage, tel qu’on les utilise aujourd’hui, seraient donc romains.

Ces celliers étaient de plus, toujours exposés à l’est.

Ce qui tenait lieu de cave froide dans la Rome antique, c’est-à-dire le sous-sol, était aménagé pour les thermes, les coffres à valeurs marchandes ou le réseau hydrologique !

Épais, sirupeux, les vins, souvent coupés, délayés, ne ressemblaient en rien à ceux d’aujourd’hui. Ce n’est qu’après une à deux années sous les combles que le jus était soutiré pour être enfin entreposé au rez-de-chaussée dans des amphores aux intérieurs nappés avec de la poix fondue.  Âpre, le liquide qui en résultait était toujours servi avec du miel et parfumé à l’aloès, aux amandes, aux figues, au thym et même au goudron ou à l’eau de mer !

Notons donc que la cave privée est rare. Elle est d’abord commerciale, car c’est souvent celle du négociant en vin. Il s’agit d’un entrepôt où le vin, lorsqu’il en sort, est tout de suite consommé. Jusqu’au Haut Moyen Âge, les caves particulières, telles qu’on les envisage aujourd’hui, n’existent pas, du moins pour le vin, ou ce sont celles du vigneron; ce sont avant tout ses chais de bonification pour la simple raison que la bouteille n’est pas encore le contenant de garde.

Une cave mobile : la barrique.

L’avènement du christianisme qui entraîne progressivement la chute de l’empire romain bouscule d’abord la consommation du vin en la multipliant et en la popularisant. La recherche de sa conservation, en Occident, devient donc essentielle à l’expansion de la parole du Christ.  Représentant le sang du Messie, il est inutile ici d’étayer mon propos sur l’importance que le vin va prendre dans les sociétés ultérieures conquises par cette religion.

En outre, un nouvel élément capital pour son transport, puis sa garde, apparaît : la barrique.

C’est un contenant fait de douves de bois qui portera, au cours des siècles, le nom de la mesure, du volume qu’il peut contenir ou de la qualité du bois utilisé : muid, tonne, fuder, fût, etc.

Alors que Rome en conquérant la Gaule, interdit aux autochtones durant plusieurs décennies, la culture de la vigne, pour des raisons de protectionnisme économique, elle découvre la barrique (utilisée entre autre pour la cervoise) qui va remplacer les outres de peau et les amphores, peu pratiques et plus fragiles.

D’abord provençale, la production romaine de vin en Gaule gagnera le Roussillon, la Catalogne, puis l’Aquitaine, faisant alors reculer la production et la consommation de la cervoise, ancêtre de la bière. Le nord de l’Europe, pays céréalier, s’attache alors, davantage, à la culture de la bière, tandis que tout le bassin méditerranéen, exploite celle du vin. Curieusement, ce sont les Gaulois, qui créent les premiers vrais vins blancs (en fait, gris) qu’ils sucrent de miel avant de les mettre en barrique. L’origine des premiers collages en vinification date sans doute de cette époque.

La garde en barrique est encore une garde de conservation matérielle, pratique, et non une garde de bonification temporelle.

Les invasions des peuples de l’est mettent fin à l’Empire romain au 5ème siècle. Elles entraînent également le délabrement de la culture viticole appliquée. Celle-ci ne reprendra que sous Clovis, à la fin du même siècle, car en se convertissant au christianisme, il est obligé de cautionner le travail de la vigne et du vin.

Quand les cryptes étaient aussi des caves.

Cette période du Bas moyen âge voit l’éclosion de monastères et d’abbayes dans toute l’Europe occidentale. Et ce sont évidemment leurs locataires, moines de tous les ordres, qui vont permettre à la culture de la vigne, à la vinification, à l’entreposage du vin et à son commerce, d’évoluer de façon remarquable.

Au 9ème siècle, Charlemagne, puis les premiers capétiens, instaureront des lois qui protégeront les vignobles et réglementeront leur exploitation. Si ces lois étouffent les paysans et les vignerons sous des taxes, et entraînent finalement leur désoeuvrement, elles permettent au clergé, exempt de certaines fiscalisations, d’exploiter ses propres parcelles. Les moines défrichent, clôturent leurs terrains, se protègent. Certains monastères ont même leur propre taverne ou conviennent d’ententes d’exclusivité de vente avec les taverniers ou les seigneurs.

Pendant des siècles, l’enseigne indiquant une taverne sera une couronne de feuilles de vigne et de sarments séchés (ou un pied de cep); et lorsque celle-ci était fraîche ou décorée de couleurs, elle annonçait que le vin proposé, venait d’être tiré. C’était le vin nouveau qu’on tirait directement du tonneau (le muid) pour le verser dans un pichet de terre.

Le vin était si important dans la vie spirituelle et matérielle du moine que la punition la plus grande parmi les règlements monacaux chez certains ordres, était la privation du vin ! Ce précieux liquide n‘est pas seulement une boisson nourrissante, désaltérante et attrayante, il est un médicament aux propriétés multiples. Et déjà, par rentabilité, on sait utiliser le mauvais vin ou les cuvées manquées, pour les simples frictions ou le lavage de plaies, alors que le meilleur jus qui reste après la cuvée à boire, sert aux recherches de potions ou de sirops curatifs.

Les moines de Cluny, Clairveaux ou Nuits dans la France d’alors font des stages de vinification en Allemagne, chez leurs confrères de Kremsmunster, de Lorsch, d’Heiligenkreuz ou d’Heitersheim. Pendant plus de neuf siècles, jusqu’au 17ème siècle, dans toute l’Europe occidentale et jusqu’au Moyen Orient, au Liban et en Palestine, le vin et sa commercialisation sont pratiquement un monopole, celui des moines Cisterciens, Bénédictins et Chartreux, des commanderies dont celle de l’Ordre de Malte.

Caves et celliers d’alors sont les pièces attenant les cryptes, les écuries, les cachots ou les cuisines des abbayes, construites de pierres, de cailloux, de galets, de schiste, de calcaire ou de tuffeau selon les régions. Ce sont les fondations des monastères qui servent d’entrepôts et c’est grâce aux recherches et aux observations des moines celleriers, tout au long de ces siècles et tout au long de consignations écrites, que nous en connaissons davantage aujourd’hui.

La gestion de la garde du vin devient aussi importante que la gestion de sa création à partir des croisades chrétiennes.

Un monopole clérical.

La viticulture change de visage au Moyen âge parce qu’elle s’occidentalise, mais la production de vin ne se multiplie pas.

En effet, si le christianisme est l’ambassadeur du vin sur tout le continent européen, puis dans le nouveau monde, l’islam tend à faire disparaître l’esprit du vin et le vin des esprits au Moyen Orient, puis en Orient.

L’apport de nouveaux outils et la rédaction des effets géologiques et climatiques sur la vigne permettent surtout aux vignerons d’éviter de commettre des erreurs et d’éviter les pertes ou les gâchis. Les modes de vinification et leurs qualités sont également répertoriés parce que retranscrits dans des manuels.

Seuls les moines, certains nobles et quelques professeurs, souvent issus de l’aristocratie, savent écrire et lire. Le clergé monopolise le savoir. Et c’est ce pouvoir, le pouvoir de l’alphabétisme que les moines alimentent entre eux, qui leur permet d’être les spécialistes incontournables de la vigne et du vin. Donc de sa conservation, puis de sa commercialisation.

La bouteille bouleverse le mode de consommation.

La barrique avait bouleversé l’économie du vin au début du premier millénaire, la bouteille bouscule celle de la fin du second millénaire, à partir du 17ème siècle.

Trop fragile et luxueux, le verre avait été abandonné au début de l’ère chrétienne. En le chauffant au charbon et en le renforçant entre autre avec du manganèse, les anglais ouvrent la voie à une nouvelle industrie. L’art du verre soufflé et renforcé se popularise parce que la bouteille et la verrerie apparaissent aux tables de la noblesse.

Désormais, grâce à la bouteille dont la forme évoluera au cours des siècles, le vin voyage plus facilement et il peut être vendu plus cher. Son statut commercial quitte progressivement le gros pour passer au détail, même si la majorité de la production voyage toujours en fût.

Les meilleurs vins, les plus reconnus, sont embouteillés à la source. On les protège, on les clisse pour le trajet. Les étapes sont écourtées, le vin se distribue plus facilement, se range plus facilement et s’offre plus facilement.

Enfin, c’est ce nouveau contenant qui permet à l’homme d’observer la bonification du vin lorsqu’on l’y laisse quelques temps. La notion de garde du vin pour le meilleur de lui-même apparaît avec l’avènement de la bouteille.

C’est donc une notion bien récente au regard de la création du vin et de sa consommation.

Le conservateur s’appelle Monsieur Jourdain.

C’est la bouteille qui a fait du vin un produit social. Et c’est le vin dans la bouteille, aujourd’hui, qui fait du cellier, une armoire sociale, une pièce à part entière dans la maison qu’on veut aussi belle et attirante que son salon.

L’automobile s’est démocratisée dans les années 1950 pour devenir, rapidement, un signe extérieur de richesse matérielle.

Le cellier électrique, c’est l’automobile des années 2000 avec en plus, l’option d’une démonstration  intellectuelle. On expose ses bouteilles parce qu’elles nous représentent, parce qu’elles annoncent notre réussite, voire notre culture.

Toutefois, comme dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière, l’accès à une liberté financière n’apporte pas prestance et éducation naturelles.

« Je suis ce que je bois » devrait être l’épigraphe d’accueil des celliers domestiques d’aujourd’hui. Cependant, les années 1980 et la mondialisation des marchés, puis celle de l’information 20 ans plus tard, à travers internet, ont bousculé les paramètres, effacé les repères.

Le contenant, la simple bouteille est devenue un écrin somptueusement moulé ou habillé, parfois plus coûteux que le contenu lui-même. Il nécessite donc un coffre-fort majestueux et présentable, au parois transparentes qui révèlent tous les autres écrins subtilement éclairés.

La cave moderne est ainsi devenue musée.

Et dans un monde où le paraître a pris l’ascendant sur l’être, le conservateur du musée s’appelle Monsieur Jourdain.

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